Le vertueux modèle d’entreprise familiale

Publié le 7/10/2024

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« Le modèle d’entreprise familiale est très vertueux, car il favorise l’ancrage dans les territoires et une gestion sur le long terme »

 

Tribune Collectif des membres du Cercle des fiscalistes :
Gilles Bonnet, notaire associé étude KL Conseil ; Philippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes ; Olivier Dauchez, avocat associé Gide Loyrette Nouel ; Jean-François Desbuquois, avocat associé Fidal ; Jean-Yves Mercier, avocat honoraire ; Frédéric Poilpré, directeur général délégué Officium Asset Management ; Bernard Monassier, notaire honoraire ; Jérôme Turot, avocat.

 

Selon les huit membres du Cercle des fiscalistes, présidé par Philippe Bruneau, les propositions avancées pour augmenter la fiscalité en France sont spécieuses et dangereuses, car, expliquent-ils, dans une tribune au « Monde », cela conduirait à détruire les entreprises familiales.

 

Publié dans Le Monde, le 7 Octobre 2024, Article réservé aux abonnés

Le montant des droits de succession collectés par l’Etat a progressé en France de 120 % au cours de la dernière décennie et le pourcentage des successions imposables a doublé au cours de cette même période. La taxation successorale y est en moyenne trois fois et demie plus élevée que la moyenne européenne.

Malgré cette imposition déjà très lourde, plusieurs voix ont récemment proposé d’augmenter de nouveau fortement la pression fiscale sur le patrimoine, notamment celle pesant sur les familles d’entrepreneurs. Le groupe de réflexion Terra Nova préconise de « taxer les “superriches” : pourquoi et comment le faire ? », l’organisation non gouvernementale Oxfam s’indigne des « super-héritages : le jackpot fiscal des ultrariches », quant à La France insoumise (LFI), elle envisage de taxer à 100 % le patrimoine transmis par succession au-delà de 12 millions d’euros.

Patrimoine ni liquide ni divisible

Ces propositions nous semblent spécieuses et dangereuses. Spécieuses d’abord, car, arguant du caractère prétendument anormal de la détention familiale de quelques très grands groupes industriels qui représentent une valeur boursière de plusieurs centaines de milliards, elles aboutissent en réalité à proposer d’augmenter l’imposition à partir de niveaux beaucoup plus modestes – par exemple, plafonner le pacte Dutreil à 2 millions d’euros pour Oxfam. Ce sont donc en réalité les classes moyennes et la majeure partie des petites et moyennes entreprises familiales françaises qui sont visées.

Ces propositions sont surtout dangereuses, car leur mise en œuvre conduirait inéluctablement à une destruction rapide du tissu industriel français et à une perte majeure de souveraineté nationale sur notre économie.

Il faut en effet rappeler que nombre d’entreprises françaises de toutes dimensions sont encore détenues par des familles et que ce modèle est très vertueux en ce qu’il favorise leur ancrage dans les territoires et une gestion sur le long terme de leur développement.

Or, pour qu’une entreprise puisse demeurer familiale, encore faut-il que la pression fiscale sur les actionnaires ne les empêche pas de conserver le contrôle du capital. Et la particularité du patrimoine de ces familles réside dans le fait qu’il se trouve durablement investi dans l’entreprise, qui représente fréquemment plus de 90 % de la totalité de leurs avoirs, et que ce patrimoine n’est ni liquide ni divisible.

Valeur théorique

Observons d’ailleurs que si la valorisation de certaines entreprises peut paraître importante dans l’absolu, il faut avoir conscience que cette valeur est particulièrement fluctuante et demeure théorique tant qu’elles ne sont pas vendues. Seuls le salaire et surtout le dividende que verse la société peuvent permettre à ces familles d’acquitter les impôts assis sur le patrimoine (impôt sur la fortune et droits de succession), en sachant que le dividende se trouve lui-même amputé de l’impôt dû sur la distribution.

Imposer annuellement la détention du capital au moyen d’un super-ISF, ce serait donc immédiatement contraindre les sociétés à distribuer plus de dividendes pour permettre aux familles de pouvoir rester actionnaires, et donc appauvrir les entreprises et les priver de la capacité de financer de nouveaux investissements.

Instaurer des droits de succession à 45 % sans abattement et, a fortiori, à 100 %, reviendrait de facto à interdire la transmission familiale des entreprises un tant soit peu significatives et à exproprier les actionnaires familiaux en les obligeant à vendre l’entreprise lors du départ en retraite du dirigeant, faute de pouvoir disposer de liquidités suffisantes dans leur patrimoine, pour acquitter l’impôt. S’agissant des plus grandes entreprises familiales, seuls des fonds d’investissement ou de puissants groupes industriels étrangers seraient en mesure de les racheter avec le risque de délocalisation et de pertes d’emplois.

La France a déjà expérimenté cette politique calamiteuse entre 1982 et 2000. Ayant constaté les ravages occasionnés, elle a ensuite instauré, en 2000, le dispositif Dutreil pour juguler l’hémorragie. Mais les séquelles de cette période sont toujours présentes et responsables du fait que le nombre actuel d’entreprises de taille intermédiaire en France est deux fois et demie moins élevé qu’en Allemagne, alors qu’il était identique en 1980.

Ni démagogie ni facilité

Une telle politique fiscale serait aussi à courte vue, car elle détruirait inéluctablement l’assiette imposable. Au bout d’une génération au plus, il n’y aurait plus d’entreprises familiales significatives en France, et donc plus de recettes d’impôt de solidarité sur la fortune, ni de droits de succession payés par les familles actionnaires.

L’absence d’imposition sur l’outil de travail pour les dirigeants et actionnaires d’entreprises familiales ainsi que le maintien du pacte Dutreil, qui permet de modérer les droits de succession en contrepartie de l’engagement des héritiers de conserver l’entreprise, sont donc absolument vitaux si la France souhaite conserver un tissu industriel composé d’entreprises françaises de taille moyenne et en voir se créer de nouvelles. La plupart des pays qui nous entourent ont d’ailleurs mis en œuvre des politiques similaires, alors même que la pression fiscale sur le patrimoine y est beaucoup moins élevée.

L’augmentation de la part de la fortune héritée dans le patrimoine des Français est principalement une conséquence d’une fiscalité excessive des revenus d’activité. Ce n’est pas l’écrêtement de ces différences qui permettra d’équilibrer le budget de l’Etat. La définition d’une politique fiscale à la mesure des enjeux budgétaires auxquels la France est confrontée ne doit céder ni à la démagogie ni à la facilité.

C’est principalement dans une augmentation de la fiscalité indirecte appliquée notamment aux biens importés que les solutions doivent être recherchées. Combinée avec la baisse des prélèvements obligatoires appliqués aux revenus d’activité et le développement de l’actionnariat salarié, une telle réforme permettrait de répondre au défi du pouvoir d’achat sans creuser le déficit commercial ou accélérer la désindustrialisation du pays.

 

Liste des signataires : Gilles Bonnet, notaire associé étude KL Conseil ; Philippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes ; Olivier Dauchez, avocat associé Gide Loyrette Nouel ; Jean-François Desbuquois, avocat associé Fidal ; Jean-Yves Mercier, avocat honoraire ; Frédéric Poilpré, directeur général délégué Officium Asset Management ; Bernard Monassier, notaire honoraire ; Jérôme Turot, avocat. Tous sont membres du Cercle des fiscalistes.

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