Le crédit d’impôt recherche contribue-t-il à financer la participation des salariés aux résultats ?

Publié le 27/03/2013

Depuis 1983, L’Etat favorise l’activité inventive V des entreprises en leur accordant un crédit d’impôt, le CIR, à valoir sur leur dette d’impôt sur les sociétés. Longtemps plafonné, en dernier lieu à 10 millions d’euros, puis 16 millions d’euros par an, le montant de ce crédit a cessé de l’être à compter de 2008. Depuis lors, il représente 30 % du montant annuel des dépenses de recherche retenues dans la limite de 100 millions d’euros et 5 % de la fraction excédentaire. Pour certaines entreprises, le crédit d’impôt se chiffre actuellement en plusieurs dizaines de millions d’euros. Pour quelle raison une corrélation a-t-elle pu s’établir entre le montant du CIR et celui de la participation des salariés aux résultats ? Cela tient au fait que la détermination de la participation procède d’un calcul dont la première étape consiste à établir la différence entre le résultat fiscal soumis au taux plein de l’impôt sur les sociétés et «l’impôt correspondant» (article L. 3324-1-1° du Code du travail). Si l’impôt correspondant au résultat fiscal se limite à fa somme que l’entreprise a effectivement versée au Trésor après imputation du CIR, la participation s’en trouve mécaniquement augmentée. Or, c’est ainsi que l’administration fiscale voit les choses.
1. Origine de cette solution
Avant d’être confrontée à la question de l’incidence du CIR sur le calcul de la participation, l’administration avait dû régler la difficulté suivante, liée à l’existence de l’avoir fiscal de 50 % qui, depuis la réforme de 1965, s’attachait aux dividendes reçus des sociétés françaises (et auquel il a été mis fin en 2004). Chaque fois que ces dividendes n’étaient pas couverts par l’exonération mère-fille, l’avoir fiscal venait s’imputer sur l’impôt sur les sociétés à la charge de l’entreprise membre. Celle-ci devait normalement incorporer cet avoir fiscal dans son résultat fiscal.
Ainsi, une société titulaire de produits ordinaires de 90 et de dividendes de 200 assortis d’un avoir fiscal de moitié (100) devait-elle, en principe, dégager un résultat fiscal de 390 (90 + 200 + 100) auquel correspondait un impôt sur les sociétés de 130 (33 1/3 % de 390). Après imputation de l’avoir fiscal de 100, VIS décaissé n’était plus que de 30. Mais la pratique la plus répandue consistait à ne pas comptabiliser l’avoir fiscal et à n’imputer celui-ci sur l’IS que dans la proportion de 66 2/3%. Dans notre exemple, la société pouvait valablement déclarer un résultat fiscal se limitant à 290 auquel correspondait un IS théorique de 96,66 seulement, la dette effective d’IS étant là encore ramenée à 30 après imputation de 66 2/3 % de l’avoir fiscal de 100.
Si l’impôt retranché du résultat fiscal avait été uniformément retenu pour son montant avant imputation de l’avoir fiscal, la société appliquant la solution orthodoxe aurait dégagé un résultat net de 260 (390 – 130), tandis que celle qui s’était abstenue d’enregistrer l’avoir fiscal dans ses produits n’aurait dégagé qu’un résultat net de 193,34 (290 – 96,66).
C’est pour éviter cette distorsion que l’administration a été conduite à prévoir que, dans la seconde situation, l’impôt à retrancher du résultat fiscal devait se limiter à la somme de 30, versée au Trésor après imputation de l’avoir fiscal de 66,66, grâce à quoi son résultat net s’établissait à 260 (290 – 30), comme dans la première situation. D’où l’indication donnée dans la documentation administrative 4 N 1121 n° 39 à jour au 30 août 1997, selon laquelle l’impôt retenu pour le calcul de la réserve spéciale de participation s’entend après imputation de tous crédits ou avoir fiscaux afférents aux revenus inclus dans le bénéfice imposable au taux de droit commun, cas normalement de ceux afférents à la perception de revenus mobiliers.
L’administration ne visait donc par là qu’à prévenir une anomalie.
2. Extension de cette règle au crédit d’impôt recherche
Le crédit d’impôt recherche ne constitue pas un produit imposable. Puisque son montant n’affecte pas le résultat imposable, l’impôt qui correspond à ce résultat imposable, au sens de l’article L. 3324-1-1° du Code du travail, ne peut donc pas, en saine logique, dépendre du montant du CIR venant réduire la dette effective d’impôt sur les sociétés. L’administration n’avait donc aucune raison d’étendre aux sociétés titulaires de ce crédit la mesure correctrice qu’elle avait conçue pour harmoniser les calculs de participation opérés à partir de résultats fiscaux qui fluctuaient suivant que les crédits d’impôt sur dividendes avaient ou non été rattachés au résultat fiscal.
3. Rescrit du 13 avril 2010
Ce rescrit a indiqué que les sociétés ayant obtenu à l’issue de l’exercice clos en 2008 ou en 2009 le remboursement de la fraction du crédit d’impôt recherche excédant l’impôt sur les sociétés de l’exercice, non seulement n’avaient aucun impôt à retrancher de leur résultat fiscal pour le calcul de la participation, mais devaient ajouter à ce résultat fiscal la partie du crédit d’impôt qui leur était remboursé, formant pour elles un «impôt négatif».
C’était la révélation éclatante du désordre qu’introduit la prise en compte du crédit d’impôt recherche dans la mesure du bénéfice net : à suivre l’administration, les entreprises visées auraient eu à se considérer comme titulaires d’un bénéfice net supérieur au mordant même de leur résultat fiscal…
4. L’arrêt du Conseil d’Etat du 20 mars 2013
Par une décision du 20 mars 2013 (n° 347633), le Conseil d’Etat fait droit au recours pour excès de pouvoir exercé par une entreprise contre les règles de calcul préconisées par t’administration dans sa doctrine d’origine et dans le rescrit du 13 avril 2010. L’impôt à retrancher du résultat fiscal ne peut s’entendre que de l’impôt sur les sociétés, au taux de droit commun, résultant des règles d’assiette et de liquidation qui régissent ordinairement l’imposition des bénéfices. Dans le cas où l’entreprise est titulaire de crédits d’impôt, il n’y a pas lieu, par suite, de tenir compte de ces crédits d’impôt, ni en particulier du crédit d’impôt recherche. En énonçant la règle contraire, l’administration ne s’est pas bornée à interpréter le Code du travail, mais a fixé des règles nouvelles non prévues par la loi. Les énonciations correspondantes sont, par suite, entachées d’incompétence et doivent être annulées.
5. Portée pratique de cette décision
La règle posée par l’arrêt emporte des conséquences qui débordent le cadre du CIR. Elle vaut ainsi notamment pour le calcul de la participation qui sera délivrée par les entreprises qui seront titulaires du nouveau crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi assis sur les rémunérations se tenant dans la limite de 2,5 fois le Smic. Elle évitera que ce crédit vienne financer des droits complémentaires à la participation.
S’agissant de son effet immédiat pour la détermination de la participation attribuée au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2012 par les entreprises titulaires du CIR, participation dont le versement doit être opéré pour le 30 avril prochain, deux situations se présentent.
L’entreprise en a déjà opéré le calcul définitif en se conformant à la règle aujourd’hui déclarée irrégulière et se trouve déjà en possession de l’attestation de son bénéfice net établie par l’inspecteur des impôts ou le commissaire aux comptes. Bien que s’écartant de la règle légale, son calcul n’est pas critiquable eu égard à la protection apportée par la doctrine administrative illégale, telle qu’elle a été réitérée au BOI-BIC-PTP-10-10-20-10, n° 210, mis à jour au 15 mars 2013. Cela étant, si elle est désireuse de revoir à la baisse le calcul de la réserve, elle peut tenter d’obtenir une attestation se substituant à la précédente.
Si elle n’a pas encore déterminé les droits de de ses salariés, il fui est loisible, soit d’ignorer la décision du Conseil d’Etat (protection du BOl précité), soit de s’y conformer. Si elle souhaite alors reconstituer le même niveau de participation que celui qui aurait résulté de la règle de calcul invalidée, rien ne s’oppose à ce qu’elle procède à l’attribution du complément sous la forme légale d’un supplément de participation ouvrant droit aux mêmes exonérations que la participation principale (art. L. 3314-10 du Code du travail). S’agissant de la participation des exercices précédents, les entreprises qui ont appliqué le calcul prescrit par l’administration n’ont pas à redouter de contestations de la part de leurs salariés, qu’elles ont mieux traités qu’ils n’auraient dû l’être, ni à craindre la remise en cause des exonérations fiscales et sociales obtenues sur les droits délivrés aux salariés. Elles ne sauraient tenter de reprendre à ceux-ci des droits qu’elles leur ont délivrés sur la base d’un bénéfice net dont le montant a été attesté soit par l’inspecteur des impôts soit par leur commissaire aux comptes. Comme l’a confirmé la Cour de cassation, cette attestation n’est, en effet, contestable ni par les salariés ni par l’employeur (C. trav, art. L. 3326-1).
Article rédigé par Jean-Yves Mercier, avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre, membre du Cercle des fiscalistes
Source : Option Droit & Affaires du 27/03/2013
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