La taxe sur les rachats d’action, un obstacle fiscal liberticide

Publié le 11/02/2025

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FIGAROVOX/TRIBUNE 11 Février 2025 – Le Conseil constitutionnel statuera cette semaine au sujet d’une nouvelle taxe sur le rachat d’actions. Cette mesure représente une atteinte à la liberté d’entreprendre, estiment Philippe Bruneau et Jean-Yves Mercier, respectivement président et vice-président du Cercle des fiscalistes (think-tank).

La nouvelle taxe sur les rachats d’actions est-elle compatible avec la liberté d’entreprendre ? Voilà une question que nous aimerions voir tranchée par le Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle de la conformité à la Constitution des dispositions du projet de loi de finances pour 2025 adopté le 6 février 2025.

De quoi s’agit-il ? On demande aux sociétés réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 1 milliard d’euros (Md€) d’acquitter une taxe représentant 8% du montant des sommes qu’elles versent à leurs associés ou actionnaires pour leur racheter leurs titres.

Comment le gouvernement a-t-il justifié cette initiative ? Les réductions de capital résultant d’annulations d’actions rachetées par les sociétés sont en constante augmentation depuis plusieurs années. En 2023, les sociétés cotées du CAC 40 ont distribué plus de 97 Md€ à leurs actionnaires, dont 30,1 Md€ sous forme de rachats d’actions, contre 23,7 Md€ en 2022 et 23,8 Md€ en 2021. Pour tenir compte de ce phénomène, les États-Unis ont instauré, depuis le 1er janvier 2023, une taxe de 1% pour les entreprises qui rachètent leurs propres actions.

Les opérations de rachat et d’annulation de titres constituent des emplois de trésorerie excédentaire et traduisent la capacité des entreprises les réalisant à contribuer au budget de l’État. Afin d’appréhender cette capacité, le présent article propose d’établir une taxe sur les réductions de capital par annulation d’actions rachetées par les plus grandes entreprises, à savoir celles réalisant un chiffre d’affaires individuel ou consolidé de plus d’1 Md€. Cette taxe poursuit un objectif de rendement.

Autre paradoxe, ce seront les associés ne participant pas aux opérations de rachat qui assumeront le fardeau de l’impôt créé par ceux qui en auront bénéficié

Quelle est au juste la nature de la taxe ? Elle ne frappe pas la réalisation d’un bénéfice : au travers du prix versé à l’actionnaire pour le rachat de ses titres, la société abandonne une partie des bénéfices qu’elle a antérieurement réalisés et sur lesquels elle a déjà supporté l’impôt sur les sociétés normalement dû. Elle ne frappe pas non plus l’enrichissement de l’actionnaire racheté qui restera soumis personnellement à l’impôt sur cet enrichissement suivant des modalités solidement établies.

Elle ne frappe pas davantage le prix d’une cession de titres : la taxe sur les transactions financières y pourvoit déjà chaque fois que la société est cotée et figure sur la liste des émetteurs dont les actionnaires sont concernés par cette taxe.

En réalité, cette taxe frappe une somme consacrée à l’extinction par la société d’une dette qu’elle a contractée auprès de ses associés. On sait, en effet, que le capital et les réserves d’une société constituent pour celle-ci des dettes envers ses associés. La nouvelle taxe se propose donc de frapper une somme par laquelle la société se libère d’une dette.

Dans ces conditions, pourquoi ne songerait-on pas à pénaliser également par l’impôt les sociétés qui honorent ponctuellement leurs factures, révélant ainsi qu’elles disposent d’une trésorerie excédentaire ? Autre paradoxe révélé par cette taxation inédite, ce seront en réalité les associés ne participant pas aux opérations de rachat qui, au travers de la charge fiscale additionnelle supportée par la société, assumeront le fardeau de l’impôt créé par ceux qui en auront bénéficié.

Il est peu certain que le juge constitutionnel valide le choix qu’a fait le législateur de s’en prendre aux opérations antérieures à l’ouverture de cette période

Abordons maintenant les choses sous un angle plus général. Une société ne peut se constituer et prospérer que grâce aux apports qu’elle reçoit de ses associés. Tout est mis en œuvre pour qu’aucun obstacle fiscal ne se dresse à l’encontre des rassemblements de capitaux. C’est ainsi qu’une directive européenne de 1969, réactualisée en 2008, proscrit la perception de droits d’apport. Et le législateur entend aujourd’hui dresser un obstacle fiscal à la restitution des apports au profit de leurs bénéficiaires légitimes.

Il nous semble que les arbitrages opérés annuellement à la demande de leurs dirigeants par les assemblées d’actionnaires sur l’affectation des bénéfices (réinvestissement ou distribution) relèvent de l’appréciation souveraine des personnes concernées. Il en va de même pour les offres visant au rachat des titres estimés par elles contribuer à la constatation d’une surcapitalisation indésirable : en entravant leur marge de manœuvre en cette matière par une mesure fiscale prohibitive, la loi porte manifestement atteinte à la liberté d’entreprendre garantie par la Constitution et ce grief ne nous paraît pas de nature à s’effacer par la proclamation d’un objectif de simple rendement budgétaire.

Le Conseil constitutionnel sera, quoi qu’il arrive, probablement conduit à s’interroger sur le calendrier d’entrée en vigueur de la nouvelle taxe. Alors que le projet gouvernemental présenté le 10 septembre 2024 entendait en exiger le paiement sur les réductions de capital réalisées à compter du 10 octobre 2024, le texte adopté entend faire remonter la taxation à celles réalisées depuis le 1er mars 2024.

La rétroactivité dont était affecté le texte initial aurait été vraisemblablement acceptée par le juge constitutionnel, car les sociétés étaient clairement avisées dès septembre 2024 du sort réservé à leurs opérations de la période commençant le 10 octobre 2024. Il est, en revanche, peu certain que le juge constitutionnel valide le choix qu’a fait le législateur de s’en prendre aux opérations antérieures à l’ouverture de cette période. La France aime à puiser dans les pratiques des États étrangers pour ciseler sa fiscalité. Mais elle sait aussi se montrer grandiose. Alors que la taxation créée aux États-Unis sur les rachats d’actions se situe au niveau modeste de 1%, nous n’hésitons pas à faire huit fois mieux. Cocorico.

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