Dans un rapport remis au gouvernement, un économiste préconise de financer la transition écologique par un impôt temporaire sur le modèle de l’ISF. Philippe Bruneau et Jean-Yves Mercier analysent les conséquences d’une telle mesure.
Par Philippe BRUNEAU, le Président du Cercle des fiscalistes et Jean-Yves MERCIER, le Vice-Président du Cercle.
Tribune publiée dans Figaro Vox le 26 Mai 2023
Dans le récent rapport qu’il a remis au gouvernement, l’économiste Jean Pisani-Ferry préconise qu’une partie des ressources nécessaires au financement du coût faramineux de l’adaptation de notre pays aux objectifs environnementaux, soit obtenue en levant un impôt exceptionnel et temporaire sur le patrimoine financier des 10 % de Français les plus aisés, à hauteur de 5 milliards d’euros par an. Les personnes choisies pour cible sont, à ses yeux, celles dont l’empreinte carbone est la plus élevée.
Dans son édition du 24 mai dernier, Le Monde conclut l’éditorial qu’il consacre à ce grave problème de financement par les considérations suivantes. «Il ne s’agit pas de céder une fois de plus à la tentation de faire de la hausse de l’impôt l’alpha et l’oméga des politiques publiques, mais d’y avoir recours de façon ponctuelle, alors que les circonstances sont exceptionnelles et pour une cause dont l’utilité publique ne souffre aucun débat. En 1995, dans la perspective de la qualification de la France pour intégrer l’euro, le gouvernement Juppé avait instauré temporairement un taux d’impôt majoré pour permettre au pays de rester en deçà du seuil fatidique des 3 % de déficit. Ses successeurs Lionel Jospin et Jean-Pierre Raffarin l’avaient ensuite progressivement supprimé. La transition climatique est-elle un enjeu moins important que la réussite de l’euro ?» En filigrane, le journal marque son inclination pour le rétablissement d’une hausse de l’impôt sur les sociétés. Celle décidée en 1995 était de 10 %.
Ces deux propositions prêtent le flanc à de sérieuses critiques.
« Cette contribution serait fondamentalement bancale car son exigibilité serait liée à l’importance du revenu soumis à l’impôt sur le revenu alors que son objet serait tout autre. »
Pour atteindre son rendement attendu de 5 milliards d’euros, la contribution qui serait réclamée aux ménages les plus aisés, au nombre de 1,7 million (10 % des 17 millions de foyers supportant l’impôt sur le revenu), serait en moyenne de l’ordre de 3.000 euros par an pour chaque foyer. L’ISF, dont le rendement était du même ordre pour une taxation englobant la valeur du patrimoine immobilier, ne frappait qu’environ 500.000 personnes. L’impôt sur la fortune immobilière qui a pris le relais en 2018 compte seulement 175.000 redevables. On voit ainsi que la contribution envisagée représenterait une mouture largement démocratisée de feu l’ISF. Pour les redevables de l’IFI, à nouveau mis à contribution sur la valeur de leur patrimoine financier, elle sonnerait le retour pur et simple à la situation qui prévalait avant 2018.
Cette contribution serait fondamentalement bancale car son exigibilité serait liée à l’importance du revenu soumis à l’impôt sur le revenu, alors que son objet serait tout autre, à savoir taxer la valeur du patrimoine financier du titulaire de ce revenu. Ainsi l’épargnant retraité disposant d’importants avoirs financiers non productifs de revenus taxables (contrats d’assurance-vie, titres détenus au travers du PEA, épargne salariale, etc.) y échapperait si ses revenus taxables sont modestes. Les jeunes actifs performants se situant dans la cible seraient inexorablement frappés sur les avoirs financiers qu’ils cherchent à se constituer, pour financer par exemple l’achat de leur résidence.
On doit supposer que la contribution envisagée n’épargnerait pas les investissements en titres d’entreprises et irait donc directement à contre-courant des incitations fiscales visant à diriger l’épargne vers le financement de l’économie productive. Sauf à déstabiliser notre tissu économique, serait nécessairement reconduite l’exonération reconnue, sous l’empire de l’ISF, aux titres qui constituent des biens professionnels. Rappelons toutefois que cette exonération concernait les seuls associés dirigeants. Une restriction qui, dans le cas des entreprises comportant un actionnariat familial, maintenait à la charge des associés non dirigeants une charge d’impôt à laquelle beaucoup ne parvenaient pas à faire face. Si la mise en œuvre de la contribution envisagée faisait resurgir cette difficulté, on peut imaginer que le chemin de l’exil fiscal ferait à nouveau de nombreux adeptes.
La liste des difficultés que nous avons recensées ne s’arrête pas là, loin s’en faut. Bornons-nous à faire observer ici que l’addition d’une taxe annuelle sur la valeur du patrimoine financier aux impositions (IR et prélèvements sociaux) qui s’attachent aux revenus annuels de ce patrimoine serait de nature à porter la dette fiscale de certains contribuables à un niveau franchissant la zone à partir de laquelle l’impôt revêt un caractère confiscatoire et méconnaît ainsi les exigences constitutionnelles. Force serait donc d’instituer, en sus de la contribution, un mode satisfaisant de plafonnement du montant de ladite contribution…
« Assujettir les sociétés à une contribution additionnelle risque de contracter la masse des résultats déclarés à un degré tel que le budget de l’État ne retirerait aucun profit net de l’opération. »
Quant à l’idée de faire reposer sur les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés le financement du plan climat par le biais d’une contribution s’ajoutant à l’IS de 25 % dont elles sont actuellement redevables, elle ne nous paraît pas pouvoir offrir sur le long terme la manne attendue. On se plaît à constater, comme l’a relevé récemment le ministre des comptes publics, Gabriel Attal, que la détente du taux de l’IS qui s’est produite depuis 2019 – baisse de ce taux de 33 1/3 % à 31 %, à 28 %, à 26,5 % puis à 25 % depuis 2022 – s’est accompagnée d’une forte progression du rendement de cet impôt. Le budget avait engrangé à ce titre 65 milliards d’euros en 2019 et la recette a atteint 85,3 milliards d’euros en 2022. L’une des principales explications du phénomène tient à ce que les entreprises n’hésitent pas à extérioriser leurs résultats lorsqu’elles savent que l’impôt les frappera à un taux modéré et adoptent l’attitude inverse lorsque ce taux augmente. Assujettir les sociétés à une contribution additionnelle risque tout simplement de contracter la masse des résultats déclarés à un degré tel que le budget de l’État ne retirerait en définitive aucun profit net de l’opération.
Gageons que le gouvernement se gardera d’alourdir davantage le fardeau des contribuables.
Une récente étude de l’Institut des politiques publiques nous apprend que les 0,1 % des Français les plus riches, les 378 foyers fiscaux versant les plus fortes contributions, seraient imposés sur leurs revenus au taux dérisoire de 2 %. Estimation surprenante, étant donné que le taux de l’impôt progressif culmine à 49 % dans la catégorie visée.
Les fiscalistes Philippe Bruneau et Jean-Yves Mercier examinent, dans une tribune au « Monde », une série de propositions en matière fiscale faites par les candidats à l’élection présidentielle et constatent que leur faisabilité juridique se heurte aux règles constitutionnelles françaises.
La baisse doit s’accompagner d’une augmentation du temps passé à travailler. De l’effort des actifs dépend la création de richesses supplémentaires qui fourniront aux intéressés des revenus complémentaires, accroîtront les recettes budgétaires liées à la vente de davantage de biens et services, et serviront à financer la baisse des prélèvements qui frappent les revenus de tout un chacun.