« L’attachement politique pour cette mesure emblématique est inversement proportionnel à la portée pratique que comporterait sa mise en œuvre », analysent Philippe Bruneau et Jean-Yves Mercier.
L’Assemblée nationale avait adopté, contre l’avis du gouvernement, le relèvement de 5 points de la flat tax, soit 35 % au lieu de 30 %, sur les dividendes reçus par les particuliers en 2022 ou en 2023 d’une société réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros ayant distribué au cours de l’année considérée une masse de dividendes supérieure de plus de 20 % à la moyenne de ses distributions de la période 2017-2021. Notons-le bien, c’est la totalité du dividende reçu, et pas seulement la fraction de son montant dépassant le seuil ainsi fixé, qui aurait subi cette hausse. Cette disposition ayant été retirée du texte sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité, l’initiative des députés restera lettre morte jusqu’à nouvel ordre. Cependant, la mesure continue d’être soutenue par une frange importante de la représentation parlementaire, englobant d’actifs soutiens de l’exécutif ce qui constitue pour celui-ci une réelle source d’embarras.
Nous sommes au regret de devoir affirmer que la disposition en cause, si elle devait reprendre corps, ne présenterait en tout état de cause qu’un caractère emblématique tant son impact serait limité.
Par quels canaux transitent les dividendes servis aux particuliers par les sociétés auteurs de distributions augmentant aussi fortement que celles prises pour cible ? Pour une fraction importante, ces dividendes sont versés sur des supports d’épargne assurant à leurs bénéficiaires une totale franchise fiscale : PEA, épargne salariale (PEE, participation des salariés aux résultats, intéressement) ou actionnariat salarié, compartiment « unités de compte » des contrats d’assurance-vie et des contrats de capitalisation.
Inefficacité. On peut voir ainsi que la mesure n’atteindrait que le cercle résiduel des particuliers détenant les actions concernées sur un compte titres ordinaire ouvert à leur nom. Et l’on peut aussi augurer que les intéressés ne resteraient pas passifs devant la menace de l’aggravation de leur imposition. S’ils sont actionnaires d’une société non cotée (type PME ou ETI), les dirigeants de la société distributrice sauraient fort bien calibrer leurs décisions de distribution pour épargner à leurs actionnaires la moindre aggravation. S’ils détiennent des titres cotés, la perspective de l’encaissement d’un dividende surimposé les inciterait à la cession préventive des titres en cause s’ils sont assurés de l’innocuité fiscale de l’opération, situation qui se présente chaque fois que leur portefeuille recèle, sur d’autres titres, des moins-values latentes qu’il leur est loisible d’extérioriser pour neutraliser l’imposition de la cession faite avec plus-value.
Un mot pour finir de l’impact de la mesure dans l’environnement international. Chaque fois que le dividende provient de l’étranger, il faudrait à l’administration fiscale procéder au contrôle de l’historique des distributions de la société versante pour asseoir la surtaxe édictée par la loi française. Qui peut penser qu’elle en a les moyens pratiques et juridiques ? Quant aux particuliers résidant hors de France qui seraient titulaires des dividendes visés par la mesure, leur exposition à l’aggravation se trouverait fortement limitée par le jeu des conventions fiscales, lesquelles plafonnent généralement à 15 % le taux de la retenue à la source que la France est en droit de prélever sur leurs dividendes de source française. Leur contribution au budget français, qui est aujourd’hui de 12,8 %, serait ainsi tout au plus augmentée de 2,2 points.
Depuis la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges, l’égalité devant l’impôt demeure au cœur de notre vie publique. Selon les derniers travaux de l’Insee, avant transferts, les ménages aisés (10 % de la population) ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres, contre 1 à 3 fois après transferts…
Une récente étude de l’Institut des politiques publiques nous apprend que les 0,1 % des Français les plus riches, les 378 foyers fiscaux versant les plus fortes contributions, seraient imposés sur leurs revenus au taux dérisoire de 2 %. Estimation surprenante, étant donné que le taux de l’impôt progressif culmine à 49 % dans la catégorie visée.
L’Assemblée Nationale a récemment adopté un amendement au projet de loi de finances pour 2023 visant à relever de 30 à 35% l’imposition des dividendes perçus par les particuliers lorsqu’ils dépassent de 20% la moyenne de ceux versés au cours des cinq dernières années et proviennent d’une société réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros.