Préface de Bernard Monassier

Publié le 18/01/2012

« L’Europe est en crise, la zone euros au bord de l’éclatement, une crise économique et financière historique, la fin d’une époque ». Tels sont les titres, à la une, des principaux médias du monde entier, depuis la faillite Lehman Brothers en 2008.
Ces dernières semaines, on voit même apparaître des scenarii catastrophes : le calendrier Maya n’aurait-il pas prévu la fin du monde pour 2012 ? Bien entendu, il faut raison garder et ne pas prendre au sérieux, ni ce tohu-bohu, ni ces élucubrations. Il faut, néanmoins, s’interroger sur les origines du chaos économique actuel.
D’aucuns estiment que l’Europe n’a pas su s’adapter au choc de la crise Américaine des subprimes, par suite de l’absence d’une politique économique, financière, fiscale cohérente.
Dans ce cadre, les uns citent les divergences fondamentales, au sein de l’Union, de la politique fiscale, en matière d’impôts sur les sociétés (ainsi, par exemple, l’Irlande applique un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 % contre plus de 30 % pour le même impôt en France).
D’autres analystes rappellent les distorsions de traitement au sein de l’Europe, de la réglementation du temps de travail (durée hebdomadaire, vacances, âge de la retraite).
Ces considérations ne sont pas erronées mais demeurent insuffisantes pour comprendre la situation actuelle.
Il faut aller plus loin dans la démonstration et rechercher  pour quelles raisons les dirigeants de l’Union (Commissions, Conseils, Parlements) restent prisonniers de leurs égoïsmes nationaux et n’arrivent pas à transcender leurs divergences pour élaborer une politique économique, financière, fiscale commune.
En premier lieu, on peut se demander si ceux-ci sont vraiment en harmonie avec les convictions profondes de leurs concitoyens. Il est permis d’en douter. Les programmes Erasmus, la création de l’espace Schengen, la mise en place de l’euro, ont contribué, récemment, à la naissance d’une conscience Européenne. Peu à peu, au fil des migrations touristiques et des multiplications de programmes  d’échanges universitaires, l’Europe a apprivoisé les citoyens, c’est-à-dire, pour paraphraser « Le Petit Prince » de Saint Exupéry : l’Europe a créé des liens entres les citoyens de ses différents pays. Cela s’est traduit, concrètement, par une multiplication de mariages mixtes, des naissances binationales et, désormais, cela se marque par une augmentation importante des successions transfrontalières (plus de 10 % des successions, en Europe, contiennent un élément d’extranéité).
Les Artistes, en premier, ont compris, pressenti ce mouvement : il suffit de penser au succès de certains films comme « l’Auberge Espagnole », « les Poupées Russes », pour s’en convaincre.
Ce phénomène sociologique, historique, devait, de façon évidente, faire éclore, à terme, une vraie citoyenneté Européenne, beaucoup plus solide que celle envisagée par nos traités et directives.
Là se trouvait la solution, le vrai remède pour faire reculer xénophobie, protectionnisme et repli sur soi. Malheureusement, cet élan fédérateur est en train de se briser pour des raisons économiques.
D’aucuns contestent cette analyse et prônent que le lien social Européen en devenir, « en état futur d’achèvement », se distant par suite d’une myopie de nos Politiques qui n’ont pas su adapter, avant la crise, le droit et la fiscalité des personnes aux évolutions sociologiques de la société Européenne.
Il est difficile d’être péremptoire sur ces sujets : il s’agit là de disciplines complexes, peu connues du monde politique, rarement évoquées dans les sommets internationaux, et, généralement, faiblement médiatisées. De plus, ces Législations touchent aux valeurs fondatrices et historiques de chacun de nos Etats. Elles consacrent la place, le rôle de la famille au sein de chacune de nos Nations. Aussi, pour ces différentes raisons, nos Politiques hésitent à modifier ce corpus juridico fiscal. Ont-ils raison, néanmoins ?
L’heure étant grave, il convient, désormais, de ne pas éluder le sujet, même si cette analyse de la place de cette discipline dans la conscience Européenne peut être désapprouvée. Il faudrait trouver, rapidement, les voies et moyens nécessaires pour faire revivre le rêve Européen, seule réponse à la crise de confiance de nos démocraties. Mais, pour cela, il faut connaître le sujet. Il existe, évidemment, des livres sur la matière, dans les différents pays de l’Union. Cependant, on connaît mal les principes fondamentaux des systèmes juridiques et fiscaux de nos principaux partenaires économiques, au sein de l’Union, et la position de la Commission ou de la Cour de Justice sur leur compatibilité avec les Traités de l’Union.
Cet ouvrage comble ces lacunes. Il devient d’actualité. Nos Politiques, nos Médias, devraient en prendre connaissance et se rendraient compte du chemin à parcourir pour harmoniser nos législations, dans ce domaine capital pour les citoyens. Ils seraient stupéfaits de découvrir l’état de nos législations. Ils constateraient, avec  effarement, voire effroi, que ce corpus repose sur des concepts philosophiques, politiques, diamétralement opposés au sein de nos différents Etats.
Citons, pèle mêle, quels exemples tirés de cet ouvrage, dont la qualité académique et pratique est indéniable :
–    Absence de fiscalité sur les successions en Autriche, et justification de l’impôt sur les successions et donations au nom de la lutte contre les inégalités en France ;
–    Critères d’assujettissement à l’impôt successoral variables selon les Etats, certains appliquant le critère personnel d’assujettissement (domicile, nationalité ou résidence principale), d’autres appliquant le critère de la localisation des actifs ;
–     Cacophonie complète entre les Etats sur la méthode utilisée pour éviter les doubles impositions, certaines préconisant la méthode du crédit d’impôt, d’autres la méthode de l’imputation ;
–    Hiérarchie des normes erratiques selon les Etats, certains mettant en avant les Conventions, d’autres préférant la Loi avant les Conventions ;
–    Conventions fiscales le plus souvent conçues pour empêcher l’évasion fiscale et non la double imposition et la mobilité des personnes ;
–    Etc…
Le lecteur de cet ouvrage suivra, avec intérêt les efforts de la Cour de Justice et de la Commission pour tenter d’harmoniser ce « fatras » juridico fiscal. Ces deux Institutions ont pu le faire évoluer, avec, comme seule arme, le principe de la liberté de circulation, postulat fondateur du Traité de l’Europe.

Depuis le célèbre arrêt Barbier, la Cour de Justice, par touches successives, a condamné, de nombreuses Législations nationales qui créaient des distorsions de traitement fiscal entre résidents et non résidents fiscaux. La Cour n’a pas eu, cependant, les moyens juridiques, jusqu’à ce jour, de condamner les Etats dont les Législations pouvaient conduire, dans ce domaine, à une double taxation. De même, la Commission n’a pu, véritablement, contraindre les Etats à harmoniser leur réglementation juridique et fiscale dans ce domaine.
De ce fait, chaque jour, un nombre de plus en plus grand de citoyens de nos Etats, vivent des situations ubuesques. Leur première réaction est la surprise, puis la colère face au constat de l’incapacité des Etats de s’entendre sur un socle commun d’une législation touchant leur quotidien ; puis à la colère, succède le rejet d’institutions Européennes incapables de s’intéresser au sort des citoyens, alors qu’elles ont su imaginer et concevoir une politique agricole commune, des normes industrielles et commerciales communes, un tarif douanier identique, une TVA similaire dans son concept, et une monnaie commune.
Comme dans tout divorce, la haine succède à l’amour, la xénophobie à l’ouverture aux autres, le nationalisme aux valeurs partagées, « le je prends le pas sur le nous », la solidarité fait place au chacun pour soi et, en l’absence d’idéal partagé, chacun se replie sur son propre monde.
Dans le contexte économique et financier actuel, une telle évolution des mentalités est préoccupante. Cela a des conséquences macro-économiques destructrices. Les contribuables les plus aisés, en prenant appui sur les services de « tax planning », de « family office », des Banques, des Cabinets d’Avocats, des Etudes de Notaires, finissent par délocaliser leurs actifs vers des cieux fiscalement plus cléments, puis progressivement, substituent à la délocalisation des actifs, la délocalisation physique de familles entières.
Ce phénomène est bien connu. Il a été évoqué, pour la première fois, par la Société des Nations, dès 1923. Il demeure néanmoins toujours aussi méconnu de nos décideurs.
Cet ouvrage, rédigé par des auteurs à la compétence reconnue, pourra contribuer, espérons-le, à faire avancer la nécessaire connaissance des sous-jacents qui se cachent dans ces législations contradictoires. Il arrive au bon moment. La Commission a pris conscience de l’ampleur du problème : elle a lancé une consultation sur le sujet. Le Conseil Constitutionnel Français a annulé, récemment, une des anciennes dispositions du Code Civil de Napoléon, intitulée « droit de prélèvement », disposition discriminatoire, peu compatible avec le nouvel état de la Société Européenne.
La politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est souhaitable, a dit le philosophe. Faisons le vœu que cet important travail contribue à aider nos Politiques à comprendre la nécessité de réformer, en profondeur, ces législations, pour redonner du corps au rêve Européen et faire renaître la solidarité nécessaire en ces temps difficiles.

Quant aux praticiens, grâce à cet ouvrage, ils vont pouvoir être mieux armés pour conseiller leurs clients. Mais, en même temps, ils vont comprendre que les fondamentaux de leur droit national n’ont pas une portée universelle, qu’ils ne sont que le fruit d’une histoire, d’un passé et que leur évolution est inévitable.

Source : Paru dans l’ouvrage « La fiscalité des successions et des donations internationales :Théorie générale et applications en droit comparé », Sous la direction d’Edouard-Jean Navez, Bruylant, 2011. 18/01/2012

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