Article paru dans « Le Monde » du 19 Septembre 2018
Par une décision du 13 juillet 2018, le Conseil constitutionnel vient de rejeter une question prioritaire de constitutionnalité contestant l’inégalité du traitement fiscal qui s’applique aux partages lorsque ces derniers portent sur des indivisions d’origine familiale.
Leur régime spécifique, ainsi définitivement conforté, produit des conséquences fiscales souvent méconnues, qui peuvent se révéler particulièrement redoutables, à terme, pour les intéressés.
Rappelons que l’indivision est la situation juridique dans laquelle plusieurs personnes détiennent des droits de même nature sur un bien, ou un ensemble de biens, sans que leurs parts respectives soient encore individualisées. Les indivisions sont très fréquentes en pratique et peuvent naître de différentes circonstances, ayant une origine soit familiale telle que le décès d’une personne dont la succession est dévolue à plusieurs héritiers ou bien le divorce de deux époux communs en biens, ou non familiale tel que l’achat d’un bien réalisé en commun par plusieurs acquéreurs non parents.
La période d’indivision est souvent délicate car elle nécessite une parfaite entente entre tous les indivisaires pour que puissent être prises de nombreuses décisions concernant la gestion des biens. Aussi, les indivisaires finissent-ils, en général, par y mettre fin par un acte de partage que chacun d’entre eux a d’ailleurs le pouvoir de provoquer seul.
Assez fréquemment, l’un des indivisaires se voit alors attribuer le bien indivis en totalité à charge pour lui d’indemniser les autres indivisaires de la valeur de leurs parts, sous la forme d’un dédommagement financier désigné sous le terme de « soulte ».
Se pose alors la question des conséquences fiscales d’un tel acte, notamment si le bien indivis a enregistré une forte plus-value entre le début de l’indivision et le moment du partage.
En la matière, la loi distingue deux régimes. En principe, les indivisaires qui cèdent leurs droits indivis dans le bien sont considérés comme des vendeurs et imposés sur la plus-value existant entre la valeur pour laquelle ils avaient acquis leurs droits indivis et le montant de la soult
Mais pour certains partages portant sur des indivisions ayant une origine familiale (essentiellement celles résultant d’une succession ou nées à l’occasion d’un divorce) un régime dérogatoire s’applique. Dans ces dernières hypothèses, l’indivisaire qui cède ses droits et reçoit en contrepartie une soulte de son copartageant, n’est pas imposé sur la plus-value qu’il réalise, le cas échéant, à cette occasion.
Ce régime de faveur s’explique par le fait que le législateur cherche ainsi à inciter les indivisaires à sortir le plus rapidement possible de l’indivision, considérée comme peu favorable à une gestion économiquement active des patrimoines, en supprimant le frein au partage que pourrait représenter la fiscalité.
Il se justifie aussi par le fait qu’en application d’un principe de droit civil, l’indivisaire qui se voit attribuer le bien est réputé, par une fiction juridique, en être rétroactivement seul propriétaire pour la totalité depuis l’origine de l’indivision.
Mais ce régime dérogatoire, s’il facilite dans un premier temps le partage en permettant aux indivisaires sortants de ne pas avoir à acquitter d’imposition sur la plus-value dont ils ont bénéficié depuis le début de l’indivision, peut se révéler ultérieurement constituer un véritable piège pour l’attributaire.
Lorsque ce dernier revendra plus tard, à son tour, le bien à une tierce personne, se posera la question de la plus-value sur cette nouvelle cession. Or, le régime fiscal dérogatoire conduira alors à ce que le cédant ne puisse plus retenir dans son propre prix de revient les soultes qu’il aura versées à ses copartageants, mais uniquement la valeur du bien à la naissance de l’indivision.
Autrement dit, l‘impôt sur la plus-value qui aura été évité par les copartageants ayant reçu des soultes lors du partage, devra être acquitté par l’attributaire lorsqu’il revendra le bien, bien qu’il ait payé le prix correspondant à la part de ses frères et sœurs au jour du partage et n’ait donc pas réalisé de plus-value à due concurrence. Cette règle s’applique aussi bien pour les plus-values sur cession de valeurs mobilières que sur les plus-values immobilières.
C’est précisément la difficulté à laquelle se trouvait confrontée la requérante qui avait soulevé la question prioritaire de constitutionnalité. Au décès de leur père, quatre sœurs avaient hérité indivisément de parts sociales, évaluées à 356 euros par part dans la succession.
Plus tard, l’une d’entre elles, dans le cadre d’un partage, avait acquis les droits indivis des trois autres, sur la base d’un prix de 790 euros par part. Puis ultérieurement, la sœur attributaire les avait revendues à un tiers sur la base du même prix de 790 euros par part et pensait logiquement n’avoir à acquitter aucun impôt de plus-value à ce titre, puisqu’elle cédait les parts pour le même prix que celui pour lequel elle les avait acquises auprès de ses sœurs.
C’était méconnaitre l’effet retardé du partage qui ne lui permettait de retenir comme prix de revient que celui déclaré dans la succession, soit 356 euros par part, et non celui du rachat à ses sœurs soit 790 euros.
Le Conseil constitutionnel ayant rejeté les griefs d’inconstitutionnalité, le régime fiscal dérogatoire des partages familiaux semble donc désormais définitivement incontestable.
Il conviendra d’en tenir compte au moment des partages, particulièrement si des plus-values latentes importantes existent à cette date.
Dans une telle hypothèse, il n’est pas toujours aisé de trouver une solution permettant de préserver les intérêts des uns et des autres, dans la mesure où, par principe, la jurisprudence considère que la fiscalité latente n’a pas lieu d’être prise en compte lors de l’évaluation des lots.
Et même dans l’hypothèse d’un partage purement amiable dans lequel les indivisaires accepteraient le principe de minorer la valeur du bien pour tenir compte du transfert à l’attributaire de la charge d’impôt latente, le coût fiscal que pourrait avoir à supporter l’attributaire dans le futur est difficile à évaluer à l’avance et même incertain. Il dépend, d’une part, de la nature de la transmission que celui-ci réalisera ultérieurement.
Une mutation à titre gratuit (donation ou succession) lui permettra, par exemple, d’échapper à cette imposition. D’autre part, même si l’attributaire procède plus tard à une cession à titre onéreux, la taxation effective dépendra du taux de l’impôt qui pourra avoir évolué, à la hausse ou à la baisse, entre la date du partage et celle de la revente, ce qui rend sa quantification précise impossible par avance.
Le choix du placement qui accueillera des actifs financiers faisant l’objet d’un démembrement est essentiel et la fiscalité n’est pas le seul critère à considérer.
« Pour les parents, laisser un héritage à ses enfants consiste à arbitrer entre consommation personnelle et transmission familiale », estiment Jérôme Bernecoli et Frédéric Poilpré. Dans une chronique du Point publiée le 20 mai, Julien Damon propose de taxer les héritiers plutôt que l’héritage au soutien de la thèse selon laquelle il est économiquement plus avantageux d’hériter que de travailler, oubliant que les Français sont majoritairement contre l’impôt sur la mort.
Aux termes de notre législation fiscale, chaque parent peut donner – en sommes d’argent, biens (meubles, voiture, bijoux, etc.), immeubles, ou valeurs mobilières (actions, parts sociales, etc.) – jusqu’à 100.000 euros par enfant sans qu’il y ait de droits de donation à régler. Ainsi, un couple peut-il transmettre à chacun de ses enfants 200.000 euros exonérés de droits tous les quinze ans.