Aux termes de notre législation fiscale, chaque parent peut donner – en sommes d’argent, biens (meubles, voiture, bijoux, etc.), immeubles, ou valeurs mobilières (actions, parts sociales, etc.) – jusqu’à 100.000 euros par enfant sans qu’il y ait de droits de donation à régler. Ainsi, un couple peut-il transmettre à chacun de ses enfants 200.000 euros exonérés de droits tous les quinze ans.
Par Philippe Baillot, enseignant à Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Cercle des fiscalistes.
Publié dans Le Point, le 13 Avril 2023
Dans les mêmes conditions, les donations consenties aux petits-enfants bénéficient d’un abattement de 31.865 euros, et celles consenties aux arrière-petits-enfants de 5.310 euros, qu’ils soient majeurs ou encore mineurs. Ces abattements peuvent, le cas échéant, se cumuler avec l’abattement spécifique aux personnes handicapées et l’exonération des dons familiaux de sommes d’argent (dans la limite de 31.865 euros sous certaines conditions), voire les « présents d’usage ».
Ces exonérations génèrent une multiplication de donations, très souvent à hauteur des abattements susvisés. Or une telle pratique interroge.
Le premier risque découle de la mise à la disposition de jeunes adultes de sommes d’argent propres à les gâter : 327.460 euros, soit 200.000 euros (100.000 x 2) de leurs parents, et 127.460 euros (31.865 x 4) de leurs quatre grands-parents. Naturellement, diverses techniques – don de la seule nue-propriété, décalage dans le temps de la disposition effective… – sont le plus souvent mises en œuvre pour réduire ce danger. Pour autant, elles ne l’écarteront jamais complètement.
Le second risque vise la situation des donateurs. Leur penchant naturel à aider leur progéniture, conforté par l’existence de ces abattements dans un cadre de haute pression fiscale, biaise trop souvent leurs réflexions. En effet, le fait de se démunir de son vivant conduit à prendre le risque de survivre à son propre capital. Fort heureusement, nous ignorons « le temps qu’il nous reste à vivre », mais, trop souvent, nous le sous-estimons massivement. A titre d’exemple, un couple de 6o ans a 50 % de chances de voir un de ses membres l’épouse, 5 chances sur 6 ! – fêter son 94ème anniversaire… Or, à de tels horizons, comment s’assurer que le capital transmis ne viendra pas à manquer au financement du train de vie, par exemple en cas de survenance d’une situation de dépendance ?
Aussi une donation ne devrait-elle s’envisager qu’avec la certitude – quelles que soient les hypothèses d’inflation, de longévité (au-delà de 100 ans), de diminution du rendement des retraites par répartition, de recul des marchés financiers, de baisse des revenus fonciers – que les capitaux transmis ne feront pas défaut au financement du train de vie durant le troisième âge et plus encore durant le quatrième. Ce questionnement devra surtout être conduit avec les hypothèses les plus sombres : « Il faut se rappeler que même les paranoïaques ont des ennemis », dit l’adage.
À l’évidence, une telle certitude ne peut être le fait que de détenteurs des patrimoines les plus élevés. Or seulement 10% des patrimoines net des foyers dépassent 633 .00 euros (hors patrimoine social). La plupart ne peuvent donc clairement envisager, sans risque, un tel dépouillement. Quant à ceux (1%) qui ont les patrimoines les plus élevés – supérieurs à 2.072.600 euros -, ils n’autoriseront même pas tous une telle prodigalité, sauf à envisager sans appréhension la bien heureuse perspective de finir ses jours dans un ashram. ashram. Les donations considérées ne devraient donc être le fait que de quelques happy few ou viser la seule nue-propriété des biens, sans alors offrir de bénéfice immédiat aux plus jeunes.
Le choix du placement qui accueillera des actifs financiers faisant l’objet d’un démembrement est essentiel et la fiscalité n’est pas le seul critère à considérer.
« Pour les parents, laisser un héritage à ses enfants consiste à arbitrer entre consommation personnelle et transmission familiale », estiment Jérôme Bernecoli et Frédéric Poilpré. Dans une chronique du Point publiée le 20 mai, Julien Damon propose de taxer les héritiers plutôt que l’héritage au soutien de la thèse selon laquelle il est économiquement plus avantageux d’hériter que de travailler, oubliant que les Français sont majoritairement contre l’impôt sur la mort.
Mis en place le 1er août 2003 et amélioré au fil des ans par plusieurs réformes successives, le régime du Pacte Dutreil est un régime fiscal intéressant pour les dirigeants souhaitant transmettre leur outil professionnel à leurs enfants pour favoriser la pérennité d’entreprises familiales. Il permet, sous réserve d’un engagement de conservation des titres et en respectant un certain nombre de conditions, d’exonérer de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois-quarts de la valeur de l’entreprise transmise par donation ou succession, que cette transmission soit réalisée en pleine propriété ou avec réserve d’usufruit.