Article paru le 05 février 2019 dans « Le Monde »
Dans une tribune au « Monde », Le Cercle des Fiscalistes estime que deux récentes décisions de justice constituent de lourdes menaces pour les contribuables et porte l’insécurité fiscale à un niveau rarement atteint.
La prévention de l’habileté fiscale a inspiré aux parlementaires, à l’occasion du vote de la loi de finances pour 2019, la décision de soumettre à la procédure de répression de l’abus de droit le contribuable, simple particulier ou entreprise, qui, pour un motif principalement fiscal – et non plus exclusivement fiscal – fera d’une disposition une application détournée des objectifs que les auteurs de cette disposition avaient assignés à celle-ci.
L’intéressé supportera alors un rappel correspondant à l’économie qu’il a cru à tort pouvoir réaliser en toute légalité, augmenté nécessairement des intérêts de retard et probablement d’une pénalité de 40 % ou 80 %. Cet aménagement, appelé à sanctionner les manquements commis à compter du 1er janvier 2020 va confronter les contribuables à deux difficultés majeures.
D’abord, à quoi reconnaît-on qu’une opération poursuit un objectif principalement fiscal ? En particulier, faut-il craindre que soit ainsi qualifiée, lorsqu’un choix se présente entre deux solutions différemment tarifées, la décision d’opter pour celle qui est fiscalement la moins coûteuse ?
Ensuite, comment reconnaît-on que le résultat obtenu est contraire aux objectifs du texte lorsque, comme c’est souvent le cas, aucun objectif déterminé n’apparaît dans les travaux préparatoires de cette disposition ?
Les réponses sont entre les mains de l’administration sous le contrôle du juge. Les contribuables ont donc lieu de s’inquiéter si celle-ci n’apporte pas rapidement les apaisements dont ils ont besoin. C’est chose faite s’agissant des donations avec réserve d’usufruit.
Un communiqué du ministère des finances du 19 janvier précise que ces opérations ne sont pas contestables sur la base de la nouvelle définition de l’abus de droit. Mais là n’est pas le seul sujet d’inquiétude. L’administration aura beau chercher à se montrer rassurante, elle ne pourra pas dissiper, même animée de la meilleure volonté, d’un trait de plume, la multitude des hésitations susceptibles de se présenter en pratique dans les opérations comportant un enjeu fiscal.
C’est finalement donc sur le juge fiscal que reposera le règlement de nombreux points restés en suspens. Or, on sait que la gestation des contentieux prend du temps, trop de temps en tous cas pour éclairer les opérateurs au moment où ils devront prendre leur décision.
On en vient à se demander s’il était bien nécessaire d’ouvrir cette boîte de Pandore alors qu’il aurait sans doute suffit de compléter, là où cela était jugé nécessaire, la panoplie des dispositions que contient déjà le code général des impôts pour contenir l’optimisation fiscale.
De manière concomitante, une autre brèche vient de s’ouvrir dans l’édifice des solutions construites par l’administration pour apporter au contribuable la sécurité qu’ils sont en droit
d’attendre. Est en cause une décision de la cour administrative de Paris du 20 décembre 2018 qui, à l’encontre d’un contribuable qui s’était appuyé sur une solution administrative lui assurance l’exonération de sa plus-value, estime que cette solution ne saurait en l’espèce le protéger car il s’en est prévalu de façon abusive.
Le Conseil d’Etat censurera, espérons-le, cette analyse qui heurte sa propre jurisprudence. Autrement à quoi pourraient servir les indications données par l’administration si, sous prétexte d’abus, un vérificateur était en droit d’en écarter l’effet protecteur, et que resterait-il notamment des assurances qu’elle aura données pour circonscrire la notion d’abus.
Nous entrons dans une ère fiscale où tout ce qui n’aura pas été explicitement autorisé par des assurances de Bercy est interdit… mais où de telles assurances pourront elles-mêmes être écartées si le vérificateur estime qu’on en aura abusé.
Qui veut trop embrasser mal étreint. Le législateur aurait dû se rappeler cet adage avant de sévir contre les contribuables dans le dessein de juger leurs choix fiscaux par trop accommodants.
Les signataires sont membres du Cercle des Fiscalistes : Philippe Bruneau, président ; Bernard Monassier ; Jean-Yves Mercier ; Jérôme Turot ; Jean-François Desbuquois ; Rémy Gentilhomme ; Pascal Lavielle et Frédéric Poilpré.
Dans une tribune, des fiscalistes membres du Cercle des fiscalistes plaident pour une réforme d’ampleur de la solidarité fiscale. Ils interpellent la ministre chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes. En l’occurrence, ce portefeuille est désormais détenu par Aurore Bergé.
Le fisc est fondé à établir l’impôt éludé en remontant à la période de dix ans qui précède la découverte de l’irrégularité. Ainsi, il arrive que l’ex-conjoint soit mis en cause longtemps après les prononcés de la séparation et du divorce, explique un collectif de fiscalistes, dans une tribune au « Monde ».
Par deux décisions très attendues, la Cour de cassation se prononce sur le cumul des répressions fiscale et pénale après que la CJUE a jugé en 2022 la jurisprudence constitutionnelle incompatible avec la Charte des droits fondamentaux. Une réforme législative d’ampleur s’impose pour donner corps aux exigences issues de ces décisions.