La réforme de la procédure d’abus de droit

Publié le 21/04/2009

Du congrès des notaires de l’an 2000 à la commission Fouquet

Si  l’on en croit les commentateurs de la loi de finances rectificative pour 2008, la recomposition de l’ancien comité consultatif pour la répression des abus de droit, devenu en même temps comité de l’abus de droit fiscal (1) ainsi que l’aménagement des règles de sa procédure (2) seraient à inscrire à l’actif des travaux de la commission FOUQUET.

 

1. Dans leur grande sagesse, les membres de la commission ont, en effet, souhaité recomposer le comité de l’abus de droit de la manière suivante :
  • un conseiller d’Etat, président ;
  • un conseiller à la Cour de cassation ;
  • un conseiller maître à la Cour des comptes ;
  • un professeur des Universités, agrégé de droit ou de sciences économiques ;
  • un avocat ayant une compétence en droit fiscal ;
  • un notaire ;
  • un expert-comptable.

Cette proposition a été reprise par le législateur sous l’article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008, laquelle a donné lieu à une réécriture de l’article 1653 C du CGI.

Un petit rappel historique permet pourtant de montrer que le chemin parcouru depuis l’année 2000 fut balisé par l’équipe du Congrès des Notaires de la même année, et spécialement, par les travaux de la troisième commission.

Rappelons que la particularité des Congrès de Notaires est de se conclure par des vœux votés par l’assemblée, qui sont autant d’incitations à l’adresse du législateur ou du pouvoir règlementaire.

A la veille du Congrès de LILLE, l’ancien CCRAD était alors composé comme suit :

  • un conseiller d’Etat, président ;
  • un conseiller à la Cour de cassation ;
  • un professeur des facultés de droit ;
  • le directeur général des impôts.

Les membres de la troisième commission s’étonnèrent en premier lieu de la présence au sein du CCRAD du directeur général des impôts. Comment, après que ses services aient instruit à charge, pouvoir prétendre trancher avec objectivité les affaires évoquées devant le comité ? Il suggérèrent en conséquence son remplacement par un conseiller à la Cour des comptes.

Le sort du DGI fut scellé dès les mois qui suivirent le Congrès des 28 au 31 mai 2000, après que ce dernier ait été remplacé par un conseiller à la Cour des comptes, conformément à l’article 66 de la loi de finances rectificative pour 2000.

Premier vœu exhaucé ! Profitant toutefois de ce léger remaniement, le législateur de l’époque (fortement inspiré par l’administration fiscale !) entérina la possibilité de remplacer le professeur des facultés de droit par un professeur de sciences économiques.

La présence d’un éminent juriste au sein du comité avait, semble-t-il, laissé des traces et la vacance de son poste à la suite de sa démission permis son remplacement par un professeur d’économie. Ce faisant, le CCRAD s’affranchissait de la rigueur du raisonnement juridique lui préférant le pragmatisme et la souplesse de la science économique…

Mais le vœu voté par l’assemblée générale du Congrès des Notaires de 2000 ne s’arrêtait pas là. Il visait à diversifier le recrutement des membres du comité en prévoyant la nomination :

  • d’un notaire honoraire,  nommé par le Conseil Supérieur du Notariat ;
  • d’un expert-comptable honoraire, nommé par le Conseil Supérieur ;
  • d’un avocat honoraire, nommé par le Conseil National du Barreau.

L’honorariat décerné aux membres du CCRAD avait pour but d’éviter les conflits d’intérêts. Il fut retenu par la commission FOUQUET puis disparut du rapport final.

Interviewé en video conférence par le président de la troisième commission à l’occasion du Congrès susvisé, le Président FOUQUET salua, en ces termes, la proposition de vœu :

« En effet, j’ai vu que dans les vœux du 96ème Congrès des Notaires de France, l’un était relatif à la réforme de la composition du comité consultatif de répression des abus de droit. Je crois que ce vœu est assez raisonnable. Le comité est composé de personnalités éminentes, mais sa composition, à notre avis, n’est pas suffisamment diversifiée pour permettre un fonctionnement aisé et rapide … »


2. Doublement inspirés, les membres de la commission FOUQUET ont également souhaité revisiter les règles de procédure applicables devant le nouveau Comité de l’Abus de Droit.

Le rapport FOUQUET indique, sous la proposition 35 qu’il « apparaît, en outre, utile de préciser expressément dans la loi que la procédure suivie devant le CCRAD est contradictoire. Un pouvoir d’instruction serait expressément conféré au président du Comité qui, en fait, en dispose déjà, lui permettant de convoquer le contribuable pour une audition, s’il l’estime nécessaire … »

Le nouvel article 1653 E du CGI ne semble guère laisser de choix au président qui « doit inviter le contribuable et l’administration à présenter leurs observations. »

Si on veut bien interpréter ce texte à la lumière des débats parlementaires (ce qui semble la moindre des choses compte tenu de la nouvelle formulation de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales), la procédure deviendra donc contradictoire.

L’Etat de Droit y gagne en consistance.

Mais à qui doit-on cette avancée décisive ?

Il suffit, pour répondre à cette question, de relire le cinquième vœu de la troisième commission du Congrès des Notaires de 2000 :

« Que le principe du contradictoire soit respecté, le contribuable ou son conseil ayant la possibilité de faire valoir des observations orales devant le comité, en réplique à la présentation du dossier par le représentant de l’administration fiscale. »

Voté à l’unanimité , ce vœu dut, en partie au moins, son succès à l’enthousiasme du Président FOUQUET lors de l’interview qu’il donna à l’occasion du Congrès :

« A l’heure actuelle, la procédure n’est pas contradictoire, elle est, en outre, purement écrite. Le contribuable ne s’explique pas devant le Comité. Il faudrait, à notre avis, instituer une procédure du type de celle qui existe pour le Commissions départementales des impôts et les Commissions départementales de conciliation qui fonctionnent très bien, où on a des représentants de l’administration, mais aussi des représentants des professions. Ces commissions sont présidées par un magistrat indépendant, le contribuable vient s’expliquer oralement devant cette commission et il a en face de lui le représentant de l’administration. Tout cela est un dialogue enrichissant qui éclaire la commission, chacun a son expérience et, en général, les avis des commissions départementales sont toujours très suivis. »

« C’est vers une procédure de ce type qu’il faudrait tendre, pour le Comité consultatif des abus de droit. »

Après cela, s’il reste encore des septiques qui doutent de la capacité des Congrès de Notaires à inspirer du droit, soulignons, pour ne s’en tenir qu’aux travaux de la troisième commission des Notaires de l’an 2000 que cinq autres vœux furent votés qui trouvèrent leur exhaussement dans des travaux législatifs ultérieurs :

  • la consécration législative des donations résiduelles (1er vœu) par les nouveaux articles 1057 et suivants du code civil ;
  • la création législative des donations-partages transgénérationnelles (2ème vœu) par les articles 1078-4 et suivants du code civil ;
  • l’abrogation de l’ancien article 459 du code civil (4ème vœu) et son remplacement par le nouvel article 505 du même code ;
  • la refonte des droits de mutation à titre gratuit par la loi TEPA ;
  • et la réforme de la modulation des pénalités fiscales que la loi de finances rectificative pour 2008 poursuit sans l’avoir véritablement achevée …

Alors comment à notre tour ne pas céder à l’enthousiasme en scandant : « Vive la Commission FOUQUET et vive le Congrès des Notaires de l’an 2000 » et en espérant pouvoir crier un jour : « Vive le Comité de l’abus de droit fiscal ».

  • Partager
Pour aller plus loin :
Contrôle fiscal

« Impôt : la ministre de l’Égalité entre les hommes et les femmes » – Interview pour Les Échos

Dans une tribune, des fiscalistes membres du Cercle des fiscalistes plaident pour une réforme d’ampleur de la solidarité fiscale. Ils interpellent la ministre chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes. En l’occurrence, ce portefeuille est désormais détenu par Aurore Bergé.

Contrôle fiscal

Femmes divorcées : « La solidarité fiscale des époux peut agir comme une bombe à retardement »

Le fisc est fondé à établir l’impôt éludé en remontant à la période de dix ans qui précède la découverte de l’irrégularité. Ainsi, il arrive que l’ex-conjoint soit mis en cause longtemps après les prononcés de la séparation et du divorce, explique un collectif de fiscalistes, dans une tribune au « Monde ».

Contrôle fiscal

Cumul des sanctions fiscales et pénales : une question pour rien ?

Par deux décisions très attendues, la Cour de cassation se prononce sur le cumul des répressions fiscale et pénale après que la CJUE a jugé en 2022 la jurisprudence constitutionnelle incompatible avec la Charte des droits fondamentaux. Une réforme législative d’ampleur s’impose pour donner corps aux exigences issues de ces décisions.


Suivez notre actualité

Pour ne plus manquer les événements du Cercle, inscrivez-vous à notre liste de diffusion

INSCRIPTION