Livret A versus fonds en euros : Peste ou choléra ?

Publié le 1/12/2023

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Match. Les deux placements préférés des Français sont au coude à coude
en termes de rémunération. Un nouveau paradigme !

Par Philippe Baillot, Enseignant à Paris II, expert en fiscalité, membre du Cercle des fiscalistes

Le taux du livret A constitue un subtil et très politique cocktail entre le taux de l’inflation et les taux courts. Quant aux fonds en euros des contrats d’assurance-vie, ils sont pour l’essentiel dépendants des taux longs et de leurs évolutions. La question d’un éventuel alignement de ces deux taux ne peut donc pas se poser durablement, ou seulement d’une manière artificielle. À court terme, elle ne pourrait découler que d’une politique de reprise de leurs provisions techniques par les sociétés d’assurances pour éviter les conséquences commerciales d’un différentiel de taux par trop favorable au livret A. Suite à leurs montants limités, une telle reprise ne pourrait avoir qu’un temps.

Au demeurant, la présente comparaison marque une incroyable régression pour les fonds en euros. Le succès de ces fonds, pendant quatre décennies, a découlé exclusivement de la baisse des taux longs, passés de près de 16 % en 1980 à moins de 0 % en 2020. Les fonds en euros étant essentiellement investis en obligations longues, ils se sont alors trouvés en parfaite adéquation avec une période unique, aujourd’hui révolue, de baisse des taux.

Fin d’une époque.

Pendant toute cette phase, la rémunération offerte par les fonds en euros était littéralement stratosphérique par rapport aux taux : d’une part, de l’inflation ; d’autre part, des livrets bancaires. Aussi, la simple interrogation sur un alignement des taux des livrets et des fonds en euros marque-t-elle clairement la fin d’une époque et même un changement de paradigme, aux dépens des fonds en euros qui ne proposeront plus qu’une rentabilité limitée, surtout à l’aune de leurs performances passées.

Dans la limite des versements autorisés au sein des livrets bancaires – par exemple, 22 950 euros pour le livret A (à multiplier par le nombre de membres du foyer fiscal) –, la rémunération proposée actuellement s’élève à 3 %. Surtout, elle est exempte de tout prélèvement obligatoire (impôt sur le revenu ou contribution sociale).

Cette rémunération se compare donc avantageusement à la moyenne de rendement des fonds en euros pour 2023, anticipée par les experts à 2,5 %. Ce taux sera de plus minoré par l’exigibilité de la CSG (à 17,2 %) et par un assujettissement à l’impôt sur le revenu ou à la flat tax (à 12,8 %) !

Les épargnants les plus agiles sont donc conduits à s’interroger sur l’enveloppe la plus efficiente, au moins pour leur épargne de précaution. L’éventuel besoin de disposer instantanément de son épargne conduira à privilégier les livrets bancaires. En effet, l’enveloppe assurance-vie induit mécaniquement un délai minimal pour la mise à disposition pour l’assuré de la valeur de rachat de son contrat, sans même considérer les limites à sa liquidité en cas de hausse extrême des taux longs, posées à juste titre par les pouvoirs publics, dans le cadre de la loi Sapin 2. Inversement, en particulier pour les épargnants les plus âgés, la dimension successorale doit être prise en compte. Or, le livret A entre dans l’actif successoral du défunt. Il est donc pleinement soumis aux droits d’enregistrement, à la différence de l’assurance-vie, nette de droits de succession jusqu’à un plafond de 152 500 euros par bénéficiaire et assujettie à des taux encore privilégiés au-delà.

Arme parfaite.

Sur le plan juridique, l’assurance-vie conserve, au moins un temps, quelques avantages : à l’image d’une insaisissabilité encore de principe (à l’exception des créances pénales ou fiscales) et d’une toujours extrême souplesse dans l’organisation d’une dévolution à cause de mort. Les livrets reprennent un clair avantage en l’absence de toute prise de frais sur les taux annoncés – tant à la souscription que sur les encours gérés, ou encore lors de leur dénouement – à l’encontre de l’assurance-vie.

En toute hypothèse, cette compétition entre livrets et fonds en euros oppose deux enveloppes n’offrant aux épargnants que des rendements réels négatifs, une fois le nominalisme monétaire écarté. Au regard d’une inflation annoncée à plus de 5 % en 2023, les épargnants ne se voient, en effet, proposer qu’un choix entre la peste et le choléra.

Pour l’assurance-vie, cette douloureuse alternative se double, de plus, des conséquences de notre nominalisme fiscal. Ainsi, notre législateur ne voit-il pas de problème à prélever son tribut sur des produits prévisionnels apparents de 2,5 %, qui correspondent en réalité à une perte du même montant, en termes de pouvoir d’achat de l’épargne. Ce faisant, notre fiscalité participe clairement de l’appauvrissement des assurés. Dans son combat pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens, le gouvernement dispose donc d’une arme parfaite : l’inscription dans la loi de finances en cours d’adoption de la suppression du nominalisme de notre fiscalité, si dommageable aux épargnants.

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