Par Philippe Baillot, membre du Cercle des fiscalistes, enseignant à l’université de Paris-2 (Panthéon-Assas).
Le nominalisme constitue une tradition de notre fiscalité. Il consiste à ne pas intégrer les conséquences de l’inflation dans la détermination de l’assiette de nos impôts. Depuis l’adoption de l’euro, ce principe majore significativement les prélèvements obligatoires subis par les épargnants. Le retour d’une inflation massive les rend proprement confiscatoires.
À titre d’illustration, le placement d’une somme de 100 euros sur un contrat d’assurance-vie en unités de compte, avec une valorisation annuelle de 4 %, générera, au terme de huit années, un produit de 37 euros. L’imposition exigible (dite flat tax), au taux apparent de 30 %, induit donc une ponction de 11 euros. Si au cours de cette période l’inflation s’est élevée à 2 % – conformément à l’objectif de la Banque centrale européenne, ce prélèvement représentera plus de 56 % de l’accroissement effectif du pouvoir d’achat de l’épargne considérée !
Ainsi le nominalisme de notre fiscalité masque-t-il massivement la réalité des prélèvements applicables à notre épargne longue. Avec le retour de l’inflation, il participe même clairement de leur caractère confiscatoire.
À titre d’exemple, toujours au cœur de l’épargne française, les contrats d’assurance-vie, dits en euros, pourraient offrir en moyenne cette année un rendement de 1 % (sans prendre en compte les conséquences d’une éventuelle remontée rapide des taux longs !). Au regard de l’inflation projetée par la Commission européenne dans la zone euro (plus de 6 %), leur rendement sera donc clairement négatif. Pour autant, leurs « produits » donneront lieu à un prélèvement fiscal de 0,3 %. Qui plus est, ce prélèvement est applicable « au fil de l’eau » sans même attendre la perception effective desdits produits par leur bénéficiaire. Ainsi la double peine n’a-t-elle pas été supprimée pour les épargnants français !
À l’image des « impôts de production » qui frappent nos entreprises avant tout dégagement de bénéfice, les épargnants français se voient traditionnellement ponctionner d’une quote-part de l’inflation, jusqu’en l’absence récente de tout véritable enrichissement… Or, depuis 1789, « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Notre fiscalité ne devrait donc plus à l’avenir procéder de facto à une véritable expropriation de la propriété des épargnants en leur ponctionnant – une deuxième fois ! –, au titre de l’impôt sur le revenu, une fraction de l’inflation subie.
Pour rendre du « pouvoir d’achat » aux épargnants français, il suffirait au législateur de supprimer la fiction de notre nominalisme fiscal. Ce faisant, il participerait de la lisibilité de nos prélèvements obligatoires, et donc de leur nécessaire acceptabilité. La loi de finances rectificative, annoncée pour l’été, comporterait fort utilement une disposition à cet égard.
«Faisons un rêve » : vous venez de percevoir 100 millions d’euros. La « tentation de Bruxelles » est naturelle, presque un must. La jurisprudence de notre Conseil constitutionnel vous offre une heureuse alternative. Ainsi pourriez-vous continuer à résider en France et acquérir un hôtel particulier, villa Montmorency, pour 20 millions d’euros…
Match. Les deux placements préférés des Français sont au coude à coude
en termes de rémunération. Un nouveau paradigme !
L’assurance-vie offre aux épargnants français une enveloppe privilégiée sur les plans financiers, juridiques et fiscaux, expliquent Philippe Baillot et Pascal Lavielle, tous deux membres du Cercle des fiscalistes.