La nouvelle notion de mini-abus de droit est trompeuse

Publié le 16/01/2019

La nouvelle définition de l’abus de droit, qui devrait rentrer en vigueur 1er janvier 2020, va bouleverser bien des décisions de gestion patrimoniale et d’investissement, redoute Jérome Turot, membre du cercle des fiscalistes.

La disposition de la loi de finances pour 2019 qui crée un nouveau cas d’abus de droit, commence à susciter beaucoup de commentaires inquiets, conduira à réputer abusifs les actes (tels qu’un bail, une vente, une donation, un emprunt, une création de société, etc.) qui « ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées » (nouvel article L.64 A du Livre des Procédures Fiscales, qui s’appliquera aux actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020).

Cette notion de « motif principal » satisfait le vœu formulé depuis longtemps par l’Administration fiscale, qui avait déjà cherché en 2013 à faire adopter cette définition très extensive de l’abus de droit fiscal. Le Conseil Constitutionnel avait le 29 décembre 2013 censuré cette disposition comme trop imprécise et d’application imprévisible, mais cette fois, le Conseil Constitutionnel n’a été saisi d’aucune critique contre cette disposition.

Traitement fiscal différent

Ainsi entre en vigueur une définition de l’abus de droit, qui devrait bouleverser bien des décisions de gestion patrimoniale et d’investissement. Entre deux opérations produisant les mêmes effets juridiques, mais dont le traitement fiscal diffère, il conviendra de choisir la plus imposée, le choix de l’opération moins onéreuse ayant nécessairement pour motif principal d’atténuer la charge fiscale.

Faudra-t-il, pour éviter tout redressement pour abus de droit, privilégier systématiquement les décisions fiscalement les plus coûteuses, et avoir recours à des conseils pour rechercher les montages les plus catastrophiques fiscalement ? Faudra-t-il que ces cabinets embauchent les meilleurs lauréats des nouveaux masters spécialisés en « Stratégie de maximisation fiscale » ou en « Ingénierie fiscale des solutions ruineuses » ?

Ce nouveau cas d’abus de droit a été présenté devant le Parlement comme un « mini-abus de droit » qui, contrairement à l’abus de droit classique, réprimant les décisions prises dans un but exclusivement fiscal, ne sera pas assorti de la pénalité automatique de 80 %. Cette notion de mini-abus de droit est cependant trompeuse, car rien n’interdit à l’administration de considérer que ce mini-abus de droit mérite des pénalités de 40 % pour manquement délibéré ou de 80 % pour manœuvres frauduleuses.

Poursuites pénales

Or l’application de ces pénalités est susceptible de déclencher des poursuites pénales pour fraude fiscale. En vertu de la loi anti-fraude du 23 octobre 2018, sont désormais transmis automatiquement au parquet les dossiers de contrôle fiscal dans lesquels ont été appliquées des pénalités de 80 %, ou bien, en cas de récidive, des pénalités de 40 %. Nous entrons dans une ère inquiétante où un contribuable peut se retrouver en correctionnelle pour avoir réalisé un acte qui n’est nullement frauduleux mais qui a eu, parmi d’autres motifs, celui de ne pas payer trop d’impôts. Et ces actes sont légion dans la vie courante des particuliers et des dirigeants d’entreprise.

Que nous sommes loin de l’époque où l’éminent doyen Ripert écrivait (G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 1949, n° 176) que « Toute personne est libre de transformer sa fortune de manière à être atteinte le plus légèrement par le poids des impôts et ses actes sont pleinement valables quand bien même ils ne seraient dictés que par le désir de payer l’impôt le plus réduit. Il n’y a pas fraude à la loi à vendre séparément un terrain et les arbres de ce terrain pour payer séparément le droit de mutation sur une vente de meubles et une vente d’immeuble » ! Est-il encore permis de couper ses arbres ?

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