La loi de finances pour 2024 a été promulguée le 29 décembre 2023 et publiée au Journal officiel le lendemain. Elle comporte de nombreuses mesures, concernant différents impôts, mesures qui sont issues principalement du projet présenté par le Gouvernement mais aussi de quelques amendements parlementaires retenus par ce dernier lors de la mise en œuvre de la procédure de l’article 49-3 de la Constitution.
S’agissant de la fiscalité patrimoniale, qui sera l’objet du présent dossier, la loi de finances vise pour l’essentiel à encadrer plus strictement des dispositifs déjà existants pour prévenir de supposées tentatives d’optimisations par certains contribuables. Le champ d’application du dispositif Dutreil est ainsi précisé et resserré sur de nombreux points. Le mécanisme d’évaluation des parts ou actions imposables à l’IFI est aussi profondément remanié. Un dispositif anti-abus est créé, visant à interdire dans certaines hypothèses la déductibilité dans la succession du quasi-usufruitier de la dette de restitution. Enfin, un nouveau délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale est institué.
Si l’on comprend bien le souci du législateur d’éviter que certains contribuables ne soient tentés d’utiliser les dispositifs de manière excessivement favorable, force est de constater que l’opportunité de cette réaction législative pose elle-même question au regard de ses effets délétères en termes de sécurité juridique.
À cet égard, les réformes de la fiscalité successorale et de l’IFI présentent la caractéristique d’atteindre des organisations patrimoniales que le redevable met en œuvre sur le long terme. La transmission familiale d’entreprise nécessite souvent des années de réflexion et de préparation avant de pouvoir être mise en œuvre. De même, l’IFI porte sur des actifs immobiliers qui sont détenus par le contribuable pendant des décennies. La constitution d’un usufruit ou d’un quasi-usufruit, enfin, n’a vocation à se dénouer que des années plus tard, au décès de l’usufruitier. Modifier leurs régimes, y compris pour les situations en cours, risque de déstabiliser profondément les organisations patrimoniales qui avaient été mises en place à bon droit par les contribuables. Et en modifier les règles de façon trop fréquente et pour y introduire une dose de complexité technique toujours accrue ne peut que contribuer à les dissuader de recourir à des dispositifs fiscaux qui peuvent présenter une utilité pour eux et pour l’économie nationale.
La complexité accrue et la remise en cause des solutions acquises sont en effet le point commun de ces réformes. La loi de finances accroît significativement la complexité de la méthode d’évaluation des parts ou actions imposables à l’IFI. Outre la prise en compte des nombreux dispositifs anti-abus déjà existants visant certains passifs souscrits dans le cercle familial des associés, le contribuable devra désormais appliquer en toutes hypothèses un principe d’évaluation des parts ou actions sur des bases totalement fictives, avant de vérifier que la valeur en résultant n’excède pas un double plafonnement visant à en corriger les effets absurdes. S’agissant de la définition des activités éligibles au dispositif Dutreil, des solutions qui venaient enfin d’être dégagées par la jurisprudence concordante de la Cour de cassation et du Conseil d’État sont cassées pour conférer une assise juridique aux commentaires administratifs préexistants qui étaient jusqu’alors illégaux. De la même façon, la solution équilibrée qui venait d’être dégagée il y a quelques mois par le comité de l’abus de droit en matière de déductibilité des dettes de quasi-usufruit, et à laquelle l’Administration s’était rangée, est désormais prohibée.
Au-delà de l’instabilité qu’ils génèrent, la qualité rédactionnelle de ces nouveaux textes laisse aussi fortement à désirer. Et compte tenu de la mise en œuvre répétée de l’article 49-3, les travaux parlementaires seront d’un faible secours pour l’interprète. Le risque de contentieux qui en résulte accroîtra encore le sentiment d’insécurité juridique et le risque de désaffection de la part des contribuables vis à vis des dispositifs concernés.
Enfin, de façon plus générale, il est loisible de s’interroger sur l’opportunité de la démarche législative constatée depuis quelques années, qui consiste à multiplier à l’excès les dispositifs anti-abus spécifiques, venant concurrencer les mécanismes plus généraux de l’abus de droit prévus aux articles L. 64 et L. 64 A du LPF. Est-il bien nécessaire et efficace d’empiler ainsi de nouveaux régimes à côté des anciens qui avaient déjà vocation à couvrir les mêmes situations ? N’aurait-il pas été préférable d’aménager ces derniers s’ils n’étaient pas suffisamment efficaces, ce qui ne semblait d’ailleurs nullement établi ?
La complexification toujours croissante et l’instabilité de la réglementation fiscale ont certainement un coût économique direct et indirect non négligeable pour l’économie nationale, que le législateur semble malheureusement méconnaître.
Malgré tout, les notaires doivent dès maintenant intégrer ces réformes dans leurs préconisations patrimoniales.
Pour les y aider, le présent dossier comporte une analyse des sujets annoncés ci-dessous.
Par Jean-François Desbuquois, avocat associé, Fidal, membre du Cercle des Fiscalistes
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