Peut-on appliquer un bonus-malus écologique aux impôts ?

Publié le 4/02/2022

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Le candidat Yannick Jadot a présenté, samedi 29 janvier à Lyon, son programme pour une « République écologique ».
Parmi les mesures évoquées figure le projet d’appliquer le principe du bonus-malus à toute la fiscalité, notamment l’impôt sur les sociétés, l’ISF ou la TVA. « Tout ce qui nous fait du bien sera moins taxé, ce qui nous fait du mal sera plus taxé – sur les entreprises, les patrimoines, comme sur la TVA », a-t-il expliqué.

 

Par Eva Sas, Conseillère politique de Yannick Jadot et Jean-Yves Mercier, Avocat honoraire et membre du Cercle des fiscalistes.

 

Publié dans La Croix, le 1er février 2022.

Eva Sas : Il faut réorienter l’épargne privée vers l’enjeu écologique

Le principe du bonus-ma- lus écologique sur la fiscalité est simple : récompenser les entreprises qui font des efforts en matière de réduction d’émission de gaz à effet serre et encourager la consommation de produits plus respectueux de l’environnement. On a vraiment besoin d’un investissement privé massif pour financer la transition écologique, et la fiscalité permet justement de réorienter l’épargne vers cet enjeu.

Des progrès ont été réalisés ces dernières années. Mais si on ne fait confiance qu’au volontariat, l’écologie va parfois se résumer à des campagnes de communication. Passer au stade supérieur réclame un changement du cadre fiscal. La fiscalité est à la fois un levier d’incitation et un vecteur culturel. Les comportements vertueux doivent être davantage récompensés. On constate encore que les plus aisés émettent plus de gaz à effet de serre : l’ensemble de la population n’a plus à payer le comportement irresponsable, d’un point de vue climatique, d’une minorité.

La fiscalité est à la fois un levier d’incitation et un vecteur culturel.

On ne part pas de rien, les bases juridiques nécessaires existent. S’agissant de l’impôt sur les sociétés, les entreprises de plus de 500 salariés doivent déjà établir leur bilan d’émission de gaz à effet de serre, tous les quatre ans. Les acteurs  institutionnels, dont les banques et assurances, ont la même obligation d’évaluation de leur portefeuille d’actifs. Mais pour que les entreprises respectent une trajectoire carbone compatible avec les accords de Paris, il faut aller plus loin : passer d’un bilan de gaz à effet de serre à un bilan carbone, plus large. Et que cette procédure soit certifiée, avec une méthodologie robuste.

Le changement serait identique pour l’impôt sur la fortune : on partirait de l’évaluation de l’empreinte carbone des actifs financiers et du diagnostic de performance énergétique pour les biens immobiliers. Sur la TVA, l’idée est simple : réduire l’imposition des produits respectueux de l’environnement – services de réparation, produits bio et transports collectifs – et alourdir celle des biens faibles en qualités nutritionnelles ou environne- mentales.

Certes, il faut que la population adhère à ce type de pro jet, ce qui n’a pas toujours été le cas. Mais nous avons changé d’ère : tout le monde convient aujourd’hui qu’on vit mieux dans un monde moins pollué, pour- voyeur d’emplois et offrant du pouvoir d’achat. On a aussi tiré les leçons des gilets jaunes : il faut d’abord offrir une alternative avant de sanctionner les comportements polluants. Sur les mobilités par exemple, on promeut le forfait mobilité durable pour rendre gratuit le covoiturage et le développement des transports en commun et l’utilisation de la voiture électrique. Il faut impérativement que les recettes tirées de cette fiscalité soient entièrement dirigées vers la construction d’alternatives pour les citoyens.

 

Recueilli par Corentin Lesueur

 

Jean-Yves Mercier : Il existe déjà des impôts pour les activités polluantes

Pour commencer, l’impôt sur les sociétés n’est pas le bon levier. Comment serait-il possible de taxer les bénéfices des entreprises en fonction de leur activité, plus ou moins émettrice de CO2 ? Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait accepter une telle rupture d’égalité devant l’impôt. D’autant qu’il existe déjà d’autres types de taxes sur les activités polluantes, tout comme un marché des quotas carbone au niveau européen, qui permettent de faire payer pour les émetteurs de gaz à effet de serre.

Yannick Jadot propose également un bonus-malus environnemental pour certains actifs financiers, qui s’appliquerait aux actionnaires disposant d’un patrimoine supérieur à deux millions d’euros. Un tel système consisterait à faire peser une contrainte supplémentaire sur ceux qui possèdent le capital. Le risque est que les actionnaires se débarrassent de leurs actions. Or les entreprises polluantes par nature sont souvent indispensables, dans la production d’énergie ou dans l’industrie. Si elles perdent leurs actionnaires, elles fermeront ou demanderont à être nationalisées. En parallèle, les plus petits actionnaires, eux, pourront continuer à investir dans ces activités polluantes : cela n’a pas vrai- ment de sens.

Sur le volet de la TVA, l’une des idées proposées est de moduler le taux en fonction du caractère réparable ou non réparable d’un produit manufacturé. Ce qui devra se négocier au niveau européen. Une directive oblige en effet les États membres à appliquer un taux minimal de TVA de 15 %. Elle laisse aux pays la possibilité d’appliquer deux taux réduits différents. C’est pour cela qu’en France nous avons également des taux à 10 % et à 5,5 %, qui ne peuvent être appliqués qu’à certaines catégories de produits et de services, strictement délimités par le texte européen. Or les produits manufacturés n’entrent pas dans les exceptions possibles. Quand Jacques Chirac avait voulu étendre la possibilité d’appliquer une TVA réduite dans le secteur de la restauration, il avait dû ba- tailler pendant plusieurs années avec ses partenaires européens.

Un tel système consisterait à faire peser une contrainte supplémentaire sur ceux qui possèdent le capital.

Sur les produits alimentaires, cela posera des questions de délimitation entre les produits considérés comme bio ou non bio. Quid d’un produit bio qui viendra de loin ? Il faut aussi savoir qu’une baisse de TVA ne se traduit pas mécaniquement dans les prix. Dans le secteur de la restauration toujours, l’application d’une TVA réduite n’avait été répercutée dans les prix que de façon marginale.

J’ai du mal à voir comment Yannick Jadot pourrait appliquer l’ensemble de ces mesures. Pour ma part, je suis plutôt favorable à l’idée de redorer le blason de la taxe carbone, à l’échelle nationale et aux frontières. C’est la mesure qui semble la plus utile, même si c’est difficilement acceptable dans le contexte actuel.

Recueilli par Camille Richir

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