G7 : « Le nouveau mode de partage des impôts pourrait dégrader la situation fiscale des multinationales européennes »

Publié le 14/06/2021

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Les trois fiscalistes Philippe Bruneau, Charles Ménard et Jean-Yves Mercier attirent l’attention, dans une tribune au « Monde », le 11/06/2021, sur les conséquences des décisions du G7 en matière de fiscalité des multinationales.

Le 5 juin 2021, les ministres des finances du G7 ont affirmé solennellement qu’ils soutenaient les efforts entrepris sous l’égide de l’OCDE pour répartir plus équitablement les bases d’imposition entre les Etats et se sont également déclarés favorables à l’instauration d’un taux minimal d’imposition pour les entreprises multinationales, qu’ils proposent de fixer à 15 %. Cette déclaration fait suite à la publication par le Trésor américain le 7 avril d’un rapport de 19 pages expliquant plus en détail le plan fiscal « Made in America » du président Joe Biden, qui vient compléter la proposition d’infrastructure « Build Back America » de plus de 2 000 milliards de dollars présentée la semaine précédente. Le plan fiscal permettrait de lever environ 2 500 milliards de dollars sur quinze ans, ce qui, selon l’administration, compenserait entièrement le coût de ses propositions d’infrastructure.

Outre l’augmentation du taux de l’impôt fédéral, qui passerait de 21 % à 28 % (le président Biden a indiqué par la suite que le taux pourrait finalement être fixé à 25 %, soit le taux d’impôt sur les sociétés français en 2022), la mesure qui retient particulièrement l’attention est la suivante : les sociétés dont le siège est situé aux Etats-Unis devraient justifier que les bénéfices réalisés dans leurs filiales à l’étranger ont été, pays par pays, soumis à un taux minimal d’imposition de 21 %. A défaut, elles devraient acquitter un impôt supplémentaire aux Etats-Unis dont le taux correspondrait à la différence entre le taux effectivement appliqué dans le pays étranger et ces 21 %. Pour mémoire, dans le système actuel, le taux d’imposition minimal, appréhendé de manière globale et non pays par pays, est fixé à 10,5 %.

 

La fin des paradis fiscaux ?

Pour jauger l’ampleur de ce changement, il suffit de prendre deux exemples.

  • Une société américaine détient une filiale imposée en Irlande au taux de 12,5 %. Elle n’acquitte aujourd’hui aucun impôt aux Etats-Unis sur ses résultats irlandais. Demain, elle pourrait être amenée à acquitter un impôt complémentaire au taux de 8,5 % (21 – 12,5) sur les bénéfices réalisés par sa filiale en Irlande.
  • Une société américaine détient plusieurs filiales à l’étranger dont certaines ne sont pas assujetties à l’impôt tandis que d’autres sont soumises à un taux d’imposition de 28 %. Dans le régime actuel, si la moyenne des taux appréhendés au niveau mondial atteint 10,5 %, aucun impôt n’est dû aux EtatsUnis. A la suite de la réforme, les résultats réalisés dans les Etats où aucun impôt ou un impôt très faible est perçu seront soumis à un taux de 21 % ou proche de celui-ci. Certains commentateurs ont d’ores et déjà annoncé que cette mesure marquait la fin des paradis fiscaux : à quoi bon en effet localiser des résultats dans des pays à fiscalité privilégiée si, in fine, ceux-ci sont soumis à un taux d’impôt uniforme de 21 % ? C’est sans doute vrai lorsque seules des considérations fiscales président à l’implantation dans un pays donné, mais lorsque d’autres facteurs justifiaient cette localisation, l’augmentation de l’impôt sur les sociétés n’annihilera pas forcément les avantages juridiques, financiers, réglementaires, etc. du choix d’implantation.

 

Sur le terrain de l’assiette imposable

En outre, la fin de la « course au taux bas » ne signifie pas pour autant la fin de la concurrence fiscale entre Etats. Celle-ci risque d’être plus subtile en se déplaçant sur le terrain de l’assiette imposable. En effet, une fois le taux unifié, chaque Etat demeure libre de déterminer ses propres règles d’imposition et de prévoir notamment la déduction de certaines dépenses dont d’autres juridictions refusent ou limitent la déduction : en résumé, d’offrir une assiette imposable plus réduite et limiter ainsi le montant de l’impôt à acquitter. C’est d’ailleurs pour limiter la concurrence entre bases imposables que l’Union européenne a choisi de présenter un projet de directive relative à une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (projet de directive Accis)… en 2016. Mais elle n’a pas été adoptée, faute d’unanimité entre les Etats membres.

Les principales réactions suscitées par le communiqué du G7 Finances se focalisent sur la perspective de la fixation d’un taux minimal à l’échelon mondial. Cependant, le communiqué formalise aussi un engagement d’une tout autre ampleur, en avalisant une proposition de l’OCDE (dite « Pilier 1 ») qui porte sur la modification des règles mêmes de partage de l’imposition des profits des entreprises multinationales entre les Etats.

 

Des craintes pour les multinationales européennes

Le principe actuellement retenu par les conventions fiscales conclues entre Etats lie l’imposition à l’importance des moyens et investissements déployés dans le pays d’implantation des entités du groupe. Or, pour les entreprises multinationales les plus importantes, notamment les Gafam, qui réalisent une marge bénéficiaire d’au moins 10 %, il est proposé que les profits excédant ce seuil soient imposés dans les différents Etats dans lesquels cette entreprise multinationale à des clients. Il s’agirait là d’une véritable révolution dont on mesure assez bien les conséquences pour les firmes du numérique (à l’égard desquelles toute mesure de taxation particulière comme celle instituée en France en 2019 serait abandonnée) mais dont on a peine à situer la portée pour l’ensemble des autres multinationales, toutes appelées à être également concernées.

Même si le processus d’adoption sera long, les deux volets du communiqué final du G7 pourraient être validés lors du G20 de cet été en Italie et, parallèlement, les travaux de l’OCDE en la matière pourraient être finalisés avant la fin de l’année 2021. En ce qui concerne les Etats européens fortement exportateurs, les effets d’une « plus juste répartition » des bases d’imposition n’apparaissent pas si bénéfiques qu’on ne le croit aux finances publiques. Surtout, les multinationales européennes peuvent légitimement redouter la mutation vers un mode de partage des impôts qui pourrait bien dégrader leur situation fiscale.

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