Réconcilier salariés et actionnaires est possible

Publié le 6/07/2020

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Article paru dans Le Figaro, le 2/07/2020

 

FIGAROVOX/TRIBUNE – Instituons la faculté d’attribuer aux salariés un dividende du travail prélevé sur l’enveloppe que les actionnaires affectent chaque année à la distribution, plaident le président et le membre du Cercle des fiscalistes.

 

Par Philippe Bruneau et Jean-Yves Mercier

 

Il y a fort à parier que la question de la licéité morale du dividende resurgira l’an prochain.

 

La crise sanitaire a révélé qu’en cette période, le versement d’un dividende aux actionnaires pouvait revêtir un caractère indécent en affaiblissant l’entreprise et en fragilisant ses salariés. Les pouvoirs publics se sont invités dans le débat en subordonnant les reports d’échéances fiscales et sociales accordés au cours de ce printemps, de même que la garantie donnée par l’État aux prêts qu’il a consentis aux grands groupes, à la condition que les bénéficiaires de ces facilités s’abstiennent de verser des dividendes en 2020.

 

Il y a fort à parier que la question de la licéité morale du dividende resurgira l’an prochain. Et que l’on pointera du doigt celles des sociétés qui osent distribuer des dividendes alors qu’elles auront demandé des sacrifices à leurs salariés pour leur permettre d’affronter la crise.

 

N’y a-t-il pas malgré tout un moyen de tordre le cou à cette opposition d’intérêts entre les salariés et les actionnaires?

 

Gérald Darmanin a émis une suggestion allant en ce sens: amplifier les droits accordés aux salariés au travers des régimes légaux de participation aux résultats et d’intéressement. Nous proposons une variante: attribuer aux salariés un dividende du travail prélevé sur l’enveloppe que les actionnaires affectent annuellement à la distribution.

 

Les mérites de cette formule? Elle respecte les acquis que représentent la participation, l’intéressement et l’actionnariat – ce dernier dispositif concourt à faire des salariés, en pratique plutôt les cadres supérieurs, des actionnaires de l’entreprise par le levier des stock-options et des attributions gratuites d’actions. La formule que nous proposons est purement facultative. Elle offre aux titulaires du capital, et sur une base librement déterminée par eux, le moyen de récompenser salariés et dirigeants pour leurs efforts. Elle invite au dialogue social entre les divers échelons de la hiérarchie de l’entreprise car il appartiendra aux intéressés de définir entre eux une règle de partage.

 

Elle ne nécessite aucun encouragement fiscal ou social et ne pèse pas sur les recettes publiques. Le dividende du travail, comme celui revenant aux actionnaires, aura vocation à être soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux additionnels de 17,2 % entre les mains des bénéficiaires. Les bénéficiaires bénéficieront d’un complément de revenu immédiatement disponible, ce que ne permettent pas les régimes légaux de participation et d’actionnariat.

 

Contrairement au régime de la participation, qui fait dépendre les droits des salariés du montant du résultat fiscal réalisé en France par la société employeur, la formule que nous proposons permet d’asseoir la distribution destinée aux salariés sur le bénéfice effectif de la société, qui comprend notamment les résultats qu’elle a réalisés à l’étranger, les dividendes reçus de ses filiales et les plus-values qu’elle a dégagées de la cession des titres de ses filiales.

 

La formule suggérée ne restreint en rien les prérogatives des actionnaires. Ceux-ci restent entièrement libres de l’adopter ou de la délaisser chaque année, sans avoir à recueillir l’avis des salariés. Le dispositif est ainsi accessible, point important, aussi bien aux entreprises à capital familial qu’aux sociétés cotées. Surtout et enfin, elle favorise une forme de conciliation négociée par la voie contractuelle d’intérêts si souvent mis en opposition.

 

Sa mise en pratique requiert deux conditions. Il faut que les partenaires sociaux marquent leur intérêt pour cette innovation. Il est nécessaire ensuite que le législateur procède dans le code de commerce aux retouches que requiert l’ouverture du dividende à cette nouvelle catégorie d’ayants droit.

 

L’adoption de ce mode de partage ferait naître une nouvelle catégorie d’entreprises, affichant leur volonté d’une répartition équitable de leurs profits et le dividende cesserait ainsi d’opposer ces deux contributeurs essentiels à la formation du bénéfice que sont les collaborateurs et les détenteurs du capital.

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