Les chiffres sont tombés, implacables, tel un couperet qui vient sanctionner une politique de taxation qui prétendait faire fi de l’adage pourtant trop souvent éprouvé et mille fois démontré de « l’impôt tue l’impôt ».
Mais le levier fiscal est un outil si tentant pour tout gouvernant en manque de courage, mais pas d’imagination que le coup est tenté avec l’espoir que cette fois-ci cela puisse marcher, au moins sur un malentendu.
Seulement voilà, la mécanique et la logique fiscale sont d’une précision à faire pâlir un horloger suisse. Ainsi, Bercy a dû reconnaître l’effondrement de 50 % des rentrées fiscales liées à la cession des plus-values mobilières en raison de la réforme de la taxation desdites plus-values désormais soumis à l’impôt sur le revenu.
Que se cache-t-il derrière ce pourcentage ? Ni plus ni moins qu’une perte de 2 milliards d’euros pour les caisses de l’État. Il s’agit bien d’une perte sèche et non d’un manque à gagner qui serait lié à une surestimation de l’impact fiscal de la réforme. Non seulement les recettes fiscales n’augmentent pas à due proportion, mais au contraire elles chutent fortement en raison de l’effondrement du nombre d’opérations rendues rédhibitoires au regard de la tonte fiscale qu’elles engendrent.
Pour autant, comment expliquer un tel effondrement instantané ? Les raisons se trouvent dans l’existence même de cette taxation bien sûr, mais également dans ses modalités. En effet, le calcul de l’impôt se fait au prorata du nombre d’années de détention. Or, aucune banque ne dispose de logiciel prévoyant ce calcul, ce dernier étant donc opéré manuellement, certains diront « à la louche », avec un risque évident et prononcé de déclarations erronées.
Face à ce risque, beaucoup d’actionnaires renoncent à acheter ou vendre et se cantonnent aux PEA ou assurances-vie. Un chiffre ne trompe pas: un siècle plus tard, le nombre d’actionnaires en France est moins important en 2015 qu’en 1905 ! Les conséquences sont multiples et dangereuses pour l’indépendance économique de la France puisque la très grande majorité des sociétés françaises cotées sont désormais détenues directement ou indirectement par des étrangers, avec le risque accru à la clé de délocalisation.
Au-delà des problèmes de modalités, cette taxation calculée en fonction de la durée de détention est totalement inadaptée à la gestion d’un portefeuille boursier qui exige tout au contraire souplesse et réactivité.
Alors que faire ? Si supprimer cette taxation apparaît comme une mesure de bon sens économique, la marche est probablement trop haute pour le Gouvernement. Dans ce contexte, il convient à minima de gommer les effets pervers de cette mesure qui est gangrenée de l’intérieur avec un risque de propagation à l’ensemble de notre économie. Dans cet esprit, on pourrait conserver une taxation forfaitaire avec prélèvement à la source pour les plus-values constatées sur les cessions d’actions cotées.
Cela aurait le mérite d’être non seulement simple, mais efficace, y compris en termes de rendement. Dans un deuxième temps, on pourrait concevoir que cette fiscalité, calculée en fonction de la durée de détention, soit simplifiée et applicable uniquement aux plus-values dues sur droits sociaux, c’est-à-dire pour des actifs dont la traçabilité est peut-être plus facile.
Une autre mesure prendrait tout son sens dans ce contexte : celle, à l’image de ce qui se pratique à l’étranger, d’autoriser sans limites l’investissement en actions cotées et pourquoi pas non cotées dans des contrats d’assurance vie, sans passer par le biais de sicav ou fonds d’investissement. L’absence de cette souplesse incite les épargnants à placer en toute légalité leur épargne dans des contrats d’assurance vie au Luxembourg, ce qui crée des emplois dans ce pays voisin.
Ainsi, une fois de plus, le levier fiscal a montré ses limites. Non seulement l’excès d’impôt est contreproductif par essence, mais ses ravages sont démultipliés quand en parallèle ses modalités sont complexes, imprécises et inadaptées. La France est malheureusement passée maître dans cet art que peu nous envient.
Depuis la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges, l’égalité devant l’impôt demeure au cœur de notre vie publique. Selon les derniers travaux de l’Insee, avant transferts, les ménages aisés (10 % de la population) ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres, contre 1 à 3 fois après transferts…
Une récente étude de l’Institut des politiques publiques nous apprend que les 0,1 % des Français les plus riches, les 378 foyers fiscaux versant les plus fortes contributions, seraient imposés sur leurs revenus au taux dérisoire de 2 %. Estimation surprenante, étant donné que le taux de l’impôt progressif culmine à 49 % dans la catégorie visée.
L’Assemblée Nationale a récemment adopté un amendement au projet de loi de finances pour 2023 visant à relever de 30 à 35% l’imposition des dividendes perçus par les particuliers lorsqu’ils dépassent de 20% la moyenne de ceux versés au cours des cinq dernières années et proviennent d’une société réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros.
Merci à toutes et à tous ayant suivi la nouvelle édition des Rencontres de l’Épargne organisée par Le Monde, en partenariat avec BoursoBank, lors de laquelle Philippe Bruneau, Président du Cercle des Fiscalistes, est intervenu.
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