I-Rappel des faits et de la procédure
Monsieur X était président et actionnaire à hauteur de 84% du capital de la SAS HOLDING YAKA. Celle-ci détenait elle-même des participations dans trois autres sociétés exerçant une activité commerciale dont la société KILOUTOU (location de matériel). Monsieur X revendiquait l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels (885 O bis du CGI) sur les titres de la SAS HOLDING YAKA dans laquelle il pensait remplir toutes les conditions (mandat éligible, rémunération, et quote-part du capital). L’administration fiscale lui notifia toutefois le 21 décembre 2006 une proposition de rectification de ses déclarations d’ISF pour les années 2003 à 2005, aux termes de laquelle elle remettait en cause le caractère professionnel de sa participation dans le capital de la SAS HOLDING YAKA pour un double motif. Elle considérait d’une part que la nature de l’activité de la SAS HOLDING YAKA n’était pas éligible audit régime, et qu’en outre l’une des conditions n’était pas remplie dans la mesure où la rémunération de Monsieur X en qualité de président de ladite holding était anormale basse.
Monsieur X saisit de ce litige d’abord le TGI de Versailles qui le débouta par un jugement du 13 octobre 2010, puis la cour d’appel de Versailles qui à son tour confirma la décision de première instance par un arrêt du 7 juin 2012 (n°10/07857).
C’est cet arrêt confirmatif qui était déféré au contrôle de la cour régulatrice.
II. Analyse de la décision
Le contribuable invoquait trois moyens de cassation à l’encontre de la décision de la cour d’appel de Versailles.
Nous rappellerons brièvement deux d’entre eux, avant d’examiner de façon plus approfondie le moyen concernant la qualification de holding animatrice de groupe qui nous semble avoir la portée pratique la plus importante.
A-Sur l’incompétence territoriale du service vérificateur:
Dans son premier moyen, Monsieur X invoquait l’incompétence territoriale de la direction des finances publiques des Yvelines, qui avait procédé au redressement, et dans le ressort de laquelle il avait eu son domicile et déposé ses déclarations d’ISF au titre des trois années considérées. Il soutenait en effet que le litige qui l’opposait à l’administration fiscale portait non seulement sur la contestation de la qualification de biens exonérés mais aussi sur l’évaluation des titres de la SAS HOLDING Y ce qui avait conduit l’administration pour y procéder à apprécier les actifs détenus par les différentes sociétés du groupe, tels que les fonds de commerce et les immeubles leur appartenant. Il se prévalait des articles R 190-1 alinéa2 et R 202-1 alinéa 2 du Livre des procédures Fiscales qui disposent que le service territorialement compétent pour la contestation de la valeur taxable des biens immobiliers et des fonds de commerce est celui du lieu de situation des biens, et soutenait que cette règle trouve à s’appliquer également lorsque l’administration est conduite à évaluer indirectement les actifs sociaux pour déterminer la valeur des titres sociaux des sociétés qui les possèdent.
La cour de cassation rejette cet argument au motif que les articles invoqués ont un caractère dérogatoire et limité aux seuls biens qui y sont expressément visés, au nombre desquels ne figurent pas les titres sociaux . En dehors de ces hypothèses, le principe général fixé par l’article 656 du CGI (sur renvoi de l’article 885 D) attribue compétence territoriale au service des impôts du lieu du domicile du redevable.
B- sur le caractère anormal de la rémunération :
Dans le troisième moyen, Monsieur X critiquait la cour d’appel d’avoir considéré que sa rémunération anormalement basse faisait obstacle au bénéfice de l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels ( 885 O bis du CGI). Il ne contestait pas que sa rémunération en qualité de président de la holding était effectivement très faible au regard de la taille du groupe (chiffre d’affaire annuel de 160.000.000 euros) et compte tenu de sa très forte réduction intervenue à compter de 2003. Pour les années 2001 et 2002, elle s’était élevée à environ 237.000 euros annuels, puis avait brutalement diminué pour tomber à 30.141 euros en 2003, 11.295 euros en 2004, et 11.870 euros en 2005. Monsieur X avait toutefois soutenu devant la cour d’appel que cette baisse de rémunération avait été décidée pour des motifs économiques dans la mesure ou la filiale KILOUTOU avait réalisé d’importantes pertes en 2002. Il invoquait aussi le fait qu’en application de l’instruction 7 S-7-05 du 3 octobre 2005, il pouvait être tenu compte du montant des dividendes versés par la holding à son profit, en complément de sa rémunération proprement dite, pour apprécier le caractère normal de cette dernière. La tolérance résultant de l’instruction posait selon lui deux conditions qu’il estimait être remplies en l’espèce : que le montant des dividendes compense la faiblesse de la rémunération et que cette situation résulte de « motifs économiques ».
La cour d’appel de Versailles avait rejeté cet argumentaire en considérant que la doctrine administrative ne permet de faire masse des dividendes et de la rémunération du mandat social que dans le cas d’entreprises rencontrant des « difficultés économiques » et non pour de simples « motifs économiques», ce qui en l’espèce ne semblait pas être le cas du groupe compte tenu du niveau important des dividendes versés à Monsieur X sur la période (pour 2003 : 4.533.182 euros, pour 2004 : 2.600.850 euros).
Le contribuable critiquait cette analyse devant la cour de cassation en soutenant que la cour d’appel s’était référé au paragraphe 10 de l’ instruction 7 S-7-05 qui autorise à prendre en compte les dividendes en cas de « difficultés économiques » sous la condition que le redevable en fasse état dans sa déclaration, alors que lui-même invoquait le bénéfice d’une autre tolérance correspondant au paragraphe 12 qui dispose « Néanmoins, le versement de dividendes pourra être pris en compte pour apprécier le caractère normal de la rémunération à la double condition que l’importance de ces derniers contrebalance la faiblesse de la rémunération et que cette situation résulte de motifs économiques ». Il soutenait que la notion de « motifs économiques » est plus large que celle des seules « difficultés économiques ».
Ce débat aurait pu apporter d’utiles précisions sur ce qu’il convient d’entendre par « motifs économiques » dans de telles circonstances (ce débat conserve son actualité dans la mesure ou le BOI-PAT-ISF-30-30-30-10 reprend aux paragraphes 300 et 310 les deux tolérances administratives initialement prévues dans l’instruction 7 S-7-05). Mais la cour de cassation rejette ce moyen comme surabondant sans l’examiner au fond, dans la mesure où en confirmant l’autre motif de remise en cause du régime de faveur (la déqualification de la holding animatrice qui faisait l’objet du deuxième moyen) elle prive le débat sur la rémunération anormale de toute portée en l’espèce.
C- sur la contestation du caractère animateur de la holding :
Le deuxième moyen aborde pour sa part un contentieux de grande importance pratique (la remise en cause de la qualification d’une holding animatrice de groupe) qui n’est malheureusement pas isolé en jurisprudence.
1-la décision de la cour de cassation
Monsieur X considérait que la SAS HOLDING YAKA était une société holding animatrice de son groupe au sens de la doctrine administrative et donc que les actions qu’il détenait dans son capital étaient elles mêmes éligibles à l’exonération d’ISF. Ceci impliquait qu’il remplisse les conditions fixées par l’article 885 O bis du CGI (exercice effectif d’une fonction éligible visée par le texte, rémunération normale, et détention d’une quote-part d’au moins 25% du capital social) dans la SAS HOLDING YAKA elle-même, et non dans les filiales de cette dernière.
L’administration fiscale avait remis en cause cette qualification de la holding lors du contrôle. Elle considérait que la qualité d’animatrice n’était pas démontrée en l’espèce et que donc la holding n’exerçait qu’une activité civile de gestion de titres non éligible en application de l’article 885 O quater du CGI.
Le TGI puis la cour d’appel de Versailles avaient donné raison à l’administration.
En cassation, le redevable soutenait d’une part que la cour d’appel avait dénaturé les termes de la convention de prestations de services conclue le 3 janvier 1998 entre la SAS HOLDING Y et l’une de ses filiales, la société KILOUTOU, desquels il résultaient selon lui que la holding définissait la politique générale du groupe et que cette dernière s’imposait à sa filiale. Il soutenait aussi que les juges d’appel n’avaient pas pris en compte l’activité réelle de direction du groupe par la holding démontrée selon lui par les nombreux procès verbaux de réunions de conseils d’administrations de la holding qu’ils versaient aux débats (curieusement les PV invoqués correspondaient à une période antérieure de plusieurs années à la période vérifiée, ce qui ne semble pas avoir été soulevé par l’administration).
La cour de cassation rejette d’abord le grief de dénaturation pour irrecevabilité. En effet de façon surprenante, l’acte sous seing privé du 3 janvier 1998 contenant la convention de prestations de services invoquée par le redevable n’avait été versé aux débats ni devant le TGI de Versailles, ni devant la cour d’appel, et ne l’était pas non plus devant la cour de cassation. Les différentes juridictions avaient dû se contenter d’analyser certains passages de cette convention rappelés sous forme de simples extraits dans la proposition de rectification de l’administration fiscale. Sur ce point l’arrêt est conforme à la jurisprudence traditionnelle de la cour régulatrice qui rejette comme étant irrecevables les pourvois en dénaturation de pièces ou de conventions lorsque les documents invoqués n’ont pas été produits dans les délais au cours de la procédure (cass. civ.1, 8 mars 1977, n° 75-15.331 ; cass. com., R,21 juillet 1987, n°86-10.445).
D’autre part elle considère que la cour d’appel avait pu à bon droit considérer que les procès verbaux des conseils d’administration de la holding produits par le redevable ne démontraient pas que cette dernière ait participé activement à la gestion des sociétés du groupe ni qu’elle ait eu un rôle autre que de gérer les participations qu’elle détenait.
Cette décision ne saurait surprendre au vu de la définition de la holding animatrice et de la jurisprudence antérieure.
2-la définition administrative de la holding animatrice de groupe
Rappelons d’abord que le législateur n’a jamais appréhendé la spécificité des holdings animatrices en matière d’exonération d’ISF au titre des biens professionnels. Il exclu même par principe du champ d’application de ce dispositif les titres de sociétés qui ont pour activité principale la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier (885 O quater du CGI).
C’est l’administration qui a reconnu la catégorie de « holding animatrice de son groupe » dans ses commentaires administratifs sur l’article 885 O bis (BOI-PAT-ISF-30-30-40-10-20120912 n° 140) en les définissant comme celles « qui outre la gestion d’un portefeuille de participations :
-participent activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales,
-et rendent, le cas échéant et à titre purement interne au groupe, des services spécifiques administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. »
De cette définition ressortent les deux critères de qualification :
a-critère principal : la holding doit participer à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales .
Ce critère, indispensable à la qualification de holding animatrice, se dédouble lui-même en deux branches:
– La holding doit d’une part participer à la conduite de la politique du groupe.
Le principe ainsi formulé reste assez abstrait et n’a pas été explicité de façon plus précise par l’administration. Il est donc souvent délicat de déterminer concrêtement dans un dossier si le mode de fonctionnement du groupe est bien conforme à ce qu’attend l’administration. Il implique sans doute que la holding conçoive une politique globale pour son groupe intégrant ses filiales, qu’elle la leur communique en leur demandant de l’appliquer, et enfin qu’elle vérifie régulièrement si elles ont bien mené cette politique.
-D’autre part, la holding doit participer au contrôle des filiales. Celui-ci s’entend en l’espèce du contrôle juridique lui permettant d’influer sur leurs décisions par l’exercice de droits de vote suffisants [1].
Ces deux élements doivent impérativement être réunis pour qu’une holding puisse se voir reconnaître la qualité d’animatrice au sens de la doctrine administrative.
b-critère accessoire : la holding peut aussi fournir à ses filiales et à titre purement interne des prestations de services: de nature administrative, comptable, immobilière etc…Ce second critère est plus facile à cerner en pratique puisqu’il donne lieu à des prestations laissant des traces matérielles et comptables. Il demeure en revanche accessoire (ainsi que l’indiquent les termes « le cas échéant ») et n’est pas suffisant à lui seul à établir le caractère animateur de la holding [2]. Les redevables doivent donc être attentifs à ne pas se trouver « piégés » par l’apparence que procure la mise en place d’une simple convention de prestations de services dans leur groupe. En cas de contrôle elle risque de se révéler insuffisante à établir l’animation .
3- L’existence réelle et la preuve de l’animation :
La holding doit donc non seulement participer à la définition de la politique du groupe et au contrôle des filiales mais elle doit aussi être en mesure de le prouver. En cas de contrôle la charge de la preuve du caractère animateur de la holding incombe en effet au redevable qui s’en prévaut, puisque l’administration considére qu’il s’agit d’une simple tolérance d’interprètation stricte. Il s’agit là souvent de la principale difficulé pour les redevables car la formulation abstraite et peu précise des critères, les amène parfois à ne pas constater par écrit le fait que la holding définisse la politique du groupe. La réalité de l’animation existe bien en général, mais passe par des canaux qui ne laissent pas de traces écrites, en particulier en cas d’identité de dirigeants dans la holding et les filiales. Si l’animation vient ensuite à être contestée par l’administration, les redevables succombent alors souvent faute d’avoir su préconstituer les preuves suffisantes.
La preuve de la holding animatrice n’est donc pas impossible mais elle est difficile et nécessite d’avoir été préconstituée de façon organisée.
Les principes dégagés par la jurisprudence en la matière nous paraissent pouvoir être regroupés comme suit :
a-Existence d’une animation effective
La Cour de cassation a indiqué à plusieurs reprises que l’existence d’une animation réelle et effective des filiales par la holding est nécessaire et ne peut se contenter de demeurer potentielle. Elle doit résulter d’éléments concrets qui ne se réduisent pas à la seule participation par la holding au capital ou à l’exercice de mandats sociaux ou de fonctions de direction dans ses filiales [3].
La nécessité d’une animation effective a été rappelée dans l’arrêt « Mantelet » rendu par la Cour de cassation le 2 juin 1992 . Est holding animatrice la société qui entretient avec une autre des relations de société mère à fille dans des conditions où la mère est appelée à contrôler, gérer et animer la filiale et ne se borne pas simplement à gérer son portefeuille.
Plus récemment, la Cour de cassation confirmait l’importance de ce critère dans un arrêt du 23 novembre 2010 en indiquant qu’il était nécessaire de vérifier si, au-delà de la rédaction de l’objet social, la société avait une activité autre que la seule gestion de son patrimoine. En l’espèce, la Cour retint que le contribuable ne démontrait pas que la holding exerçait effectivement une activité d’animation de ses filiales.
De même dans un arrêt récent [6], concernant l’éligibilité des titres d’une holding à l’article 787 B du CGI (pactes Dutreil), la cour de cassation a pu confirmer l’arrêt d’appel qui considérait que le redevable ne démontrait pas que la holding qu’il venait de créer et qu’il prétendait animatrice ait eu la moindre activité en la matière vis-à-vis de ses filiales[;
Il ne suffit donc pas que le redevable prétende que la holding a un rôle de gestion et d’animation s’il ne peut pas démontrer qu’elle agit effectivement comme animatrice de son groupe.
Identité de dirigeants :le fait que le dirigeant de la holding exerce également une fonction de direction dans une ou plusieurs filiales ne suffit pas, en soi, à établir que cette société de tête anime effectivement son groupe[7]. L’identité de dirigeants entre une holding et ses sociétés filiales ne suffit donc pas à démontrer la fonction animatrice de la holding.
Importance des moyens matériels et humains de la holding :
Un critère inopérant : la jurisprudence a pu décider que le fait qu’une holding dispose de moyens humains importants ne suffit pas, en soi, à caractériser son rôle d’animation à l’égard de sa filiale. En l’espèce, les magistrats ont considéré que la question n’est pas de savoir si la mère « dispose » des moyens d’animer les filiales mais si elle les anime effectivement [8].
Un critère inutile : l’arrêt « Gros » rendu le 27 septembre 2005 [9] apporte une précision supplémentaire. La Cour retient que la participation de la holding au contrôle et à la direction des filiales ne suppose pas nécessairement, contrairement à ce que soutenait la cour d’appel [10], l’existence de structures importantes au sein de la société holding et n’est en aucun cas subordonnée à la fourniture de prestations de services administratifs, juridiques, comptables, financiers ou immobiliers rendus de manière habituelle.
C’est donc bien la réalité de l’animation et non l’existence des structures mises place qui prévaut.
b-Preuve de l’animation effective
Au regard de la jurisprudence, le redevable ne semble pouvoir s’appuyer efficacement que sur deux types de documents pour parvenir à établir l’existence d’une animation effective dans le cadre de la procédure écrite :
Convention d’animation : la Cour de cassation a rendu une décision très intéressante à comparer avec l’arrêt du 10 décembre 2013 sous analyse, dans un arrêt Elias . La chambre commerciale considère que les juges du fond ont dénaturé la teneur des conventions d’assistance administrative, comptable et de conseil, produites par le contribuable pour tenter de caractériser l’animation exercée par la société holding. En appel, les juges avaient, en effet, jugé insuffisante la production de ces conventions pour démontrer le rôle d’animation effective en retenant que ces conventions interdisaient à la holding toute intervention dépassant la simple information des filiales. Fait assez rare, la Cour de cassation procéda à un contrôle au fond des conventions et considéra que la Cour d’appel les avait dénaturé car elles prévoyaient, tout au contraire, que les organes dirigeants des filiales devaient respecter la politique générale du groupe définie exclusivement et effectivement par la holding.
Sur renvoi, la Cour d’appel de Paris[12] constata que les six contrats d’assistance administrative et comptable et de conseil en gestion d’entreprise conclus par la holding avec ses filiales prévoyaient bien que les dirigeants de chacune des filiales devaient respecter la politique générale du groupe définie seule et exclusivement par la holding pour en conclure que la fonction de détermination de la politique générale réservée exclusivement à la holding par contrat était effectivement appliquée au sein du groupe et, qu’en tout état de cause, l’administration n’avait pas établi que les filiales ont mené une politique différente de celle définie par la holding.
Le parallèle avec la décision faisant l’objet du présent commentaire est donc particulièrement intéressant. Dans le dossier de la HOLDING YAKA et contrairement à l’arrêt ELIAS le redevable échoue à établir la qualification de holding animatrice faute de pouvoir produire une convention écrite conclue entre la holding et ses filiales stipulant que la politique du groupe est définie exclusivement par la holding et que les filiales devront la respecter. A la lecture de l’arrêt d’appel on constate bien que la recherche effectuée les juges du fond a porté précisément sur cet élément : l’existence ou non en l’espèce d’une politique de groupe définie par la holding, à laquelle les filiales auraient été tenues d’adhérer (« Ils ne démontrent pas qu’en sa qualité alléguée de holding animatrice, la société HOLDING YAKA participait activement à la gestion des sociétés du groupe en prenant des décisions de politique commerciale ou d’orientation stratégique qui s’imposaient… » et encore « il ne résultait pas de ce contrat que les décisions importantes de la société KILOUTOU étaient prises conformément à une politique générale définie par la société holding ou avec son accord »).
En comparant les deux espèces il apparaît donc nettement que les stipulations de la convention passée entre la holding et ses filiales sont de première importance. Si elle prévoit expressément que la holding détermine une politique du groupe que les filiales sont tenues de l’appliquer, et que cela correspond à une réalité, l’administration ne pourra renverser la présomption du caractère animateur de la holding qu’en démontrant que la convention n’a pas été appliquée dans les faits.
PV et rapports : le redevable peut invoquer les comptes- rendus des conseils d’administration et les rapports des commissaires aux comptes pour compléter ou suppléer la preuve résultant des stipulations insuffisantes d’une convention d’animation. Dans le dossier HOLDING YAKA les juges du fond ont à ce titre procédé à une analyse minutieuse des PV de CA de la holding mais n’y ont pas trouvé la preuve que la holding aurait pris des décisions suffisantes autres que celles concernant la gestion de son propre patrimoine. Enfin le redevable, peut le cas échéant essayer de renforcer la mise en évidence du rôle d’animation de la holding en arguant des prestations de services rendues aux filiales qui consistent à étudier et à conseiller les investissements assurant la croissance externe du groupe ou les orientations stratégiques[13] . Mais celles-ci seront en général insuffisantes à établir à elles seules la qualification.
conseils pratiques :
de cette nouvelle décision et de la jurisprudence qui la précède peuvent être tirés quelques enseignements pratiques pour le redevables et leurs conseils :
-s’assurer de la juste qualification de holding animatrice et de la possibilité de la prouver avant de revendiquer tout régime de faveur :
La qualification d’une holding animatrice fait l’objet de fréquents contentieux qui peuvent trouver leur source dans sa définition ou dans sa preuve. Rappelons qu’un certain nombre questions de principe peuvent poser difficulté : une holding peut-elle être animatrice lorsqu’elle ne détient qu’une seule filiale ? La holding qui ne détient aucune participation mais cherche à en acquérir peut- elle être considérée comme animatrice ? Quel pourcentage la holding doit- elle détenir dans le capital des filiales ? La holding doit- elle animer la totalité de ses filiales ?
Au- delà des questions de fond, les difficultés peuvent également survenir dans la preuve à apporter du caractère animateur.
Il est donc essentiel pour le redevable et ses conseils de s’assurer de la juste qualification et de préconstituer la preuve écrite avant de revendiquer un quelconque régime de faveur. A défaut ils risquent de se trouver dans une situation difficile si la qualification est contestée a posteriori et qu’ils ne peuvent l’établir devant le juge. Le régime de faveur sera remis en cause, en général sans qu’ils puissent invoquer par substitution un autre mode d’application par société interposée. Les conséquences financières du redressement déjà lourdes en matière d’ISF, peuvent être véritablement catastrophiques en cas de remise en cause d’une transmission sous pacte Dutreil.
-D’un point de vue pratique, il est prudent de formaliser par écrit le processus d’animation existant dans le groupe. La holding a intérêt conclure avec ses filiales une convention d’animation (et non de seules pretstations de services) stipulant que la politique du groupe est définie exclusivement par la holding et s’impose aux filiales. Puis ces principes devront être effectivement’appliqués : l’organe compétent de la holding définira une politique pour le groupe, la formalisera par écrit et la transmettra aux filiales en en conservant la preuve. Enfin régulièrement les filiales tiendront la holding informée de leur diligences pour mettre en œuvre cette politique, et Des difficulés éventuellement rencontrées.
Si la holding détient plusieurs filiales il nous semble dangereux qu’elle ne conclut la convention d’animation qu’avec une seule d’entre elles comme l’avait la HOLDING YAKA puisque l’administration considère actuellement que la holding doit animer la totalité de ses filiales pour pouvoir prétendre à la qualification[14] .
-si un doute sur le caractère animateur subsiste et ne peut être levé, il est sans doute préférable de revendiquer un autre mode d’application du régime : De nombreux régimes de faveur permettent une application par société interposée. L’existence de la holding est alors « neutralisée » pour permettre une prise en compte des conditions d’application sur les filiales qu’elle détient. Ce mode d’application est souvent plus complexe et moins efficace qu’une holding animatrice mais il présente le mérite d’être moins sujet à un risque de contestation [15]. Il doit donc être privilégié en cas de doute sur la caractère animateur.
Ainsi si Monsieur Y avait eu conscience en amont de la fragilité de la qualification de holding animatrice de la HOLDING YAKA, il aurait pu organiser son groupe de manière à remplir les conditions d’exonération dans les filiales telles que KILOUTOU. Les risques encourus auraient certainement été beaucoup plus faibles.
-en cas de contentieux : le redevable qui n’est pas certain de disposer de preuves suffisantes pour établir la qualification au regard des critères posés par l’administration, peut envisager de retenir une défense alternative ou complémentaire. En effet l’administration présente la notion de holding animatrice comme étant une simple tolérance administrative[16] . Mais il est permis de se demander si cette analyse est pertinente et si une holding animatrice n’exerce pas tout simplement une activité commerciale la rendant éligible de plein droit aux régimes de faveur sans devoir passer nécessairement par une tolérance issue de la doctrine administrative ? Ce qui fonde historiquement la reconnaissance d’un statut spécial aux holdings animatrices par l’administration fiscale, c’est précisément qu’elle considère qu’elles exercent une activité de nature commerciale, ce qu’elle a indiqué à plusieurs reprises. Le ministre du budget a également confirmé par le passé lors de débats parlementaires que l’activité commerciale des holdings animatrices les rendaient éligibles de plein droit aux régimes de faveur prévus en faveur des entreprises commerciales sans qu’il soit besoin de modifier les textes légaux pour les y inclure expressément [17]. Par ailleurs historiquement la notion de holding animatrice n’est pas une mesure de tolérance puisqu’elles ont été reconnues pour la première fois pour les soumettre de plein droit à un régime de taxation obligatoire (la réévaluation des actifs de 1976) [18].
CONCLUSION :
D’un point de vue plus général, on ne peut que regretter de nouveau que le législateur n’ait pas traité sérieusement cette question aux enjeux majeurs pour la sécurité juridique d’une partie importante des entreprises française (62 % des PME employant plus de 100 salariés sont détenues par l’intermédiaire d’une holding) . Il vient à nouveau de laisser échapper une occasion de le faire en rejettant le 15 octobre 2013 un amendement déposé par Monsieur le député FROMENTIN visant précisément à codifier la notion de holding animatrice pour l’application de l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels. Certes la formulation de l’amendement proposé pouvait être précisée pour améliorer son efficacité, mais elle aurait pu l’être assez aisément au cours des débats parlementaires sur la base de travaux de la doctrine déjà publiés .
A l’inverse la loi de finances pour 2014 vient à nouveau de démontrer le faible intérêt du législateur pour donner une définition plus précise de ce concept malgré l’impératif de sécurité juridique qui devrait s’y attacher L’article 150-0 D nouveau du CGI inclut expressément les holdings animatrices dans le champ de l’abattement majoré sur les plus values de valeurs mobilières pouvant bénéficier aux titres de PME acquis dans les dix premières années suivant leur création. Mais au lieu de profiter de cette nouvelle occasion pour définir précisément le concept de holdings animatrices le texte se borne à de renvoyer à la définition de l’article 199 terdecies-0 A du CGI (réductions IR-PME). Or non seulement ce dernier texte prévoit expressément que la définition qu’il donne a une portée limitée à la seule application du dispositif légal qui le contient (la réduction d’IR dite Madelin), ce qui crée une contradiction avec le renvoi opéré par l’article 150-0 D, et d’autre part la définition de l’article 199 terdecies-0 A contient une erreur grammaticale qui le rend difficilement compréhensible, et qui n’a pas été corrigée au passage.
Il nous semble que ce désintérêt manifeste du législateur pour cette question pourtant fondamentale est très dommageable pour la sécurité juridique et la pérennité de nombreuses entreprises familiales.
SOURCE: la Revue Fiscale du Patrimoine de février 2014
REFERENCES :
1 Lecture qu’elle a confirmée lors d’une conférence IACF du 10 juin 2013.
2 Cass . com. 27 sept. 2055, n°1324 FS-PB, GROS, RJF 1/06,100.
3 Cass. com. 15 fév. 1994, n° 454 D : RJF 7/94, 854 ; Cass. com. 8 juill. 1997, n° 1787 D, Bedrossian : RJF 12/97, 1196
4 Cass. com. 2 juin 1992, n° 958 P, Mantelet : RJF 8-9/92, 1276
5 Cass. com. 23 nov. 2010, n° 09-70465, Gratzmuller : BF 3/11, inf 334
6 Cass ; com. 21 juin 2011, n°10-19.770.
7 Cass. com. 15 fév. 1994, n° 454 D. Corpet : RJF 7/94, 854 ; BOI-PAT-ISF-30-30-40-10-20120912 n° 190
8 Cass. com. 19 nov. 1991, n° 1457 P. Davies : RJF 2/92, 270 ; BOI-PAT-ISF-30-30-40-10-20120912 n° 180
9 Cass. com. 27 sept. 2005, n° 1324 FS-PB, Gros : RJF 1/06, 100
10 CA Paris, 11 sept. 2003, n° 02-7450, Gros : RJF 3/04, 327
11 Cass. com. 8 fév 2005, n° 191 F-PB, Elias : RJF 4/05, 508
12 CA Paris, 7 juill. 2006, n° 05-12395, Elias : RJF 1/07, 98
13 Cass. com. 27 sept. 2005, n° 1324 FS-PB, Gros : RJF 1/06, 100
14 Position confirmée à la conférence IACF du 10 juin 2013.
15 Jean-François DESBUQUOIS « Holdings : les enjeux de la fiscalité patrimoniale » APSP4/2010, p.71 et s.
16 Conclusions de l’administration dans l’affaire MANTELET- cass. com.2 juin 1992, RJF 8-9/92,n°1276.
17 Cf Olivier de SAINT CHAFFRAY « ISF : HOLDING ANIMATRICE, l’administration refuse toute detnetion de participations passives » FR 31/13, p.31 et s.
18 Précisions apportées par nos confrères Eric GINTER et Luc JAILLAIS lors d’une conférence IACF tenue le 10 juin 2013.
19 Jean-François DESBUQUOIS « Holdings : les enjeux de la fiscalité patrimoniale » APSP4/2010, p.71 et s.
20 Rapport à la FNDP « Holdings animatrices de leur groupe : propositions de clarifications du statut » par Philippe NEAU-LEDUC, Pascal JULIEN SAINT AMAND et Jean-François DESBQUOIS- JCPN du 12 novembre 2012.