Non, l’épargnant n’est pas fiscalement le privilégié que l’on dit

Publié le 4/02/2012

Les préjugés ont la vie dure. On ne taxe pas assez l‘épargnant par rapport à celui qui travaille. On peut aisément démontrer la fausseté de cette affirmation pour chaque type de revenu : actions, immobilier locatif, prêts et obligations. Intéressons-nous à cette dernière catégorie.

Lorsqu’un particulier se fait rémunérer son compte d’épargne ou achète une obligation, il réalise, en apparence, un profit égal à l’intérêt stipulé. Mais le fait que l’argent placé ou investi n’est récupérable que pour son montant nominal, sans être n’augmenté d’une somme compensant l’érosion que la dérive monétaire lui fait subir, est pour lui un facteur d’appauvrissement. Pour préserver son avoir, il devrait retenir sur l’intérêt qui lui est versé annuellement, pour le réinvestir, ce que l’inflation a gommé de la valeur de son capital. Supposons que l’épargnant ait placé ses fonds à 3,5 % alors que l’inflation est de 2,5%. Son revenu réel n’est que de 1%. Il devra donc réinvestir 2,5 % pour préserver son capital.

Hélas, la fiscalité du particulier ne s’embarrasse pas de cette considération. L’impôt frappe le montant brut de l’intérêt encaissé : 3,5 % dans notre exemple où le revenu réel n’est que de 1 %.

La seule application des prélèvements sociaux, au taux de 15,5 % qui se profile à l’horizon du 1er octobre 2012, ponctionne déjà 0,524 d’un intérêt perçu de 3,5 : 52,4 % du revenu réel de 1.

N’est-ce pas déjà une contribution honorable ?
Les contribuables frappés par l’impôt progressif aux taux de 5,5 % et de 14 % doivent verser en sus, au titre de l’impôt sur le revenu, respectivement 0, 192 et 0,49. Au total, la ponction qu’ils subissent s’élève à 0,710 ou 1,014 pour un revenu réel de 1.
Ceux dont les revenus sont touchés par les taux de 30 % ou de 41 % ont le droit d’opter pour un prélèvement forfaitaire libératoire qui, au 1er janvier 2012, est passé de 19 % à 24 %. Avec les prélèvements sociaux, le même intérêt de 3,5 sera grevé entre leurs mains d’une imposition de 1,382, donc supérieure à leur revenu réel.
A l’intention de ceux qui récuseraient la pertinence de la distinction que nous opérons entre revenu facial et revenu réel, je suggère de comparer, aux taux du barème, la pression fiscale exercée sur un revenu d’activité et celle exercée sur un intérêt de placement. Le revenu d’activité supporte en amont une CSG/CRDS de 8 %. L’intérêt supportera demain des prélèvements sociaux de 15,5 %. Il est donc manifeste que la pression qui s’exerce sur l’intérêt est globalement supérieure de 7,5 points à celle que subit le revenu d’activité. Le revenu d’activité taxé à 14 % aura supporté une imposition globale de 22 % tandis que l’intérêt taxé au même taux aura supporté une imposition globale de 29,5 %.

Le titulaire d’un revenu atteint par la tranche de 30 % pourra se rabattre, pour l’imposition de l’intérêt, sur le prélèvement libératoire de 24 %. Même dans l’application de cette solution conçue pour lui être favorable, l’intérêt qu’il encaisse supportera une imposition globale de 39,5 % alors que son revenu d’activité n’aura donné prise qu’à une imposition globale de 38 %.

Le projet du parti socialiste pour les présidentielles prévoit la suppression du prélèvement forfaitaire libératoire, sans prétendre corriger l’excès d’imposition subie par tous ceux les épargnants, de loin majoritaires, dont les revenus sont insuffisants pour justifier le recours à la formule du prélèvement (contribuables dont le revenu se tient dans les tranches taxables à 5 % ou à 14 %). Qu’il soit juste ou injuste d’accentuer l’effort réclamé aux épargnants, je laisse à chacun le soin d’en juger. Mais sur l’inspiration de de la proposition, censée rétablir pour les revenus du capital des conditions d’imposition égales à celles qui s’appliquent aux revenus du travail, je m’inscris totalement en faux.

Sources : Article paru dans « le Journal des Finances » 4 février 2012

Par Jean-Yves Mercier, avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre, membre du Cercle des fiscalistes

 

 

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